Résidence alternée : la drôle de vie des parents séparés
Environ 12% des parents séparés d’aujourd’hui sont des parents “alternants”. Une semaine sur deux (ou quasi) sans leurs enfants, une semaine avec. Si la résidence alternée a beaucoup été discutée pour les enfants, on s’était jusqu’à présent peu penché sur le vécu des parents. C’est ce qu’a fait Benoît Hachet, sociologue, pendant de nombreuses années. De ses recherches, il a tiré un livre Une semaine sur deux : comment les parents séparés se réinventent (Les Arènes), qui revient sur les principaux résultats de son enquête. Et bonne nouvelle : les parents alternants vont plutôt bien, merci pour eux !
Vous avez rencontré des dizaines de parents séparés dont les enfants vivent en résidence alternée et étudié le vécu, à travers des questionnaires, de plusieurs milliers d’entre eux… Comment vont les parents séparés qui ne voient leurs enfants qu’une semaine sur deux ?
Benoît Hachet : La plupart d’entre eux allaient bien ! Et surtout, quand je leur demandais s’ils voulaient arrêter l’alternance et vivre avec leurs enfants à plein temps, pas un ne m’a répondu positivement. Alors attention à l’échantillon que j’ai étudié : comme je me suis intéressé aux parents qui avaient opté pour la résidence alternée pour leurs enfants, je ne me suis pas, par définition, entretenu avec ceux qui auraient mal vécu l’alternance au point de l’arrêter.
Reste que j’ai mené une enquête quantitative sur près de 5000 parents. Et quand je les interrogeais, plus de 90% disaient vivre positivement les périodes avec enfants. Les périodes sans enfant étaient un peu plus dures, mais ils étaient quand même 70% à partager un ressenti positif.
Donc globalement, les parents en résidence alternée vont bien. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il n’y en pas qui en souffrent terriblement et pour qui c’est excessivement difficile.
Justement, avez-vous réussi à percevoir ce qui faisait que ce mode de la résidence alternée était plus difficile à vivre que pour les autres ?
Ce n’était pas vraiment une surprise – plus une confirmation – mais il est clairement apparu que ceux pour qui c’est le plus dur, c’est ceux qui ne s’entendent pas (ou mal) avec leur ex-conjoint. Ceux qui n’ont pas confiance en leur ex et pour qui la semaine sans les enfants est une semaine d’inquiétude. Plus que le fait d’être un homme ou une femme, plus que le fait d’avoir des ressources financières limitées ou importantes, c’est vraiment cette capacité à s’entendre avec l’autre qui fait la différence. Et de ce que j’ai pu constater, il y avait un bon tiers des répondants pour qui l’entente n’était pas vraiment au rendez-vous.
Souvent, c’est une question de temps. Au moment du divorce, il y a souvent des combats, des volontés de faire payer l’autre, des envies de vengeance. Mais à partir du moment où les parents comprennent qu’ils vont devoir avancer ensemble autour de l’enfant pour le faire grandir, ça va bien ! Et une fois que l’entente est bonne, les parents finissent par aller mieux et par trouver des façons de faire fonctionner l’alternance. Quant aux enfants du divorce, on le dit souvent mais cela se voit dans les faits : ils vont en général bien si les parents vont bien.
A lire : Une semaine sur deux, comment les parents séparés se réinventent, de Benoît Hachet (Editions Les Arènes)
Que font les parents séparés la semaine où ils n’ont pas leurs enfants ? Ont-ils tout en double pour les plus jeunes ? Comment organisent-ils les plannings et le quotidien avec leur ex, voire en fonction des ex des nouveaux compagnons de leur ex ? Autant de questions concrètes abordées dans ce livre par Benoît Hachet, qui a mené pendant 7 ans une grande enquête sur la résidence alternée, et qui dresse en creux le portrait de ces parents alternants qui s’avèrent très créatifs.
Reste que vivre une semaine sur deux sans ses enfants, ce n’est jamais évident. Quelles sont les difficultés spécifiques à la résidence alternée que mentionnent les parents que vous avez interrogés ?
La première difficulté, c’est celle que vous mentionnez et qui revient le plus souvent : c’est la “chambre vide”, une semaine sur deux. Le manque des enfants, quand ils ne sont pas là, qui peut être vraiment douloureux. De ce que j’ai pu observer, cela dure en gros une année. Pas pour tout le monde mais la plupart des répondants s’habituent. Et puis les enfants grandissant, les relations et les ressentis évoluent. Il est évident que la résidence alternée avec un enfant de 3 ans ou un ado de 15 ans, ce n’est vraiment pas la même chose.
Une autre difficulté est le fait de devoir dorénavant gérer “tout seul” une semaine sur deux. L’organisation au quotidien devient plus acrobatique, surtout pour ceux qui n’ont pas de famille ou d’amis à côté pour leur donner des coups de main. Sans personne pour aller chercher le petit à l’école, le fait d’être bloqué dans le RER devient tout de suite plus problématique.
Il y a surtout une autre contrainte très forte : l’assignation géographique. Les parents alternants sont obligés de trouver du travail là où ils sont, d’une façon ou d’une autre. Car la résidence alternée leur impose de ne pas s’éloigner de l’école des enfants, sous peine de rompre l’accord sur l’alternance. Pour certains, cela signifie renoncer à des opportunités professionnelles, ne pas pouvoir progresser. Pour d’autres, cela implique de refuser de s’engager dans certaines rencontres amoureuses, qui pourraient aboutir à la possibilité d’aller vivre loin avec la personne rencontrée.
C’est une contrainte très forte qui pèse sur les parents ! Comment réagissent-ils ? Se plient-ils tous à cette assignation géographique ?
Sur ce point, les réactions divergent en fonction de l’âge. J’ai remarqué que les parents de 30 ans ou moins, séparés jeunes, préfèrent attendre que les enfants grandissent. Ils se disent qu’ils ont choisi, qu’ils attendront que les enfants prennent leur envol pour eux, bouger. Les parents qui ont plutôt 50 ans avec des enfants encore jeunes, eux, n’attendent pas : ils vont dire “c’est ma dernière opportunité, je bouge!” Quitte à remettre en cause la résidence alternée, en fonction de ce qui est le mieux pour l’enfant.
Il est évident que face à un déménagement d’un des deux parents, il est impératif que les gens s’entendent, sinon ça peut vite partir en guerre et mener droit à un nouveau procès.
Quand l’un des deux parents “refait sa vie”, pourtant, c’est assez courant…
C’est un très gros écueil qu’ont fait remonter de nombreux parents séparés : quand l’autre se remet en couple. Que ce soit les hommes ou les femmes, ils ont tous reconnu que voir l’autre se remettre en couple avant soi, c’est compliqué. Savoir qu’il y aura un beau-père ou une belle-mère qui débarque dans la vie de vos enfants et qui va les voir autant de temps que vous, c’est très dur.
Sans compter que ça complique largement les contraintes d’emploi du temps. Surtout si certains des nouveaux conjoints sont eux-même en alternance ou ont un certain rythme de garde le week-end ou pendant les vacances. Selon la position que l’on occupe dans le système, on peut se retrouver à jouer la variable d’ajustement au milieu de conjoints qui ont de nouveaux partenaires, eux-mêmes dotés d’ex en résidence alternée. Je me souviens d’une enseignante qui me disait “Parce que je suis prof, ils pensent que je suis toujours disponible. Mais il n’est plus question qu’ils bougent à nouveau le planning, en fonction non pas de la nouvelle compagne de mon ex, mais de l’ex de la nouvelle copine de mon ex-mari !”. On peut concevoir que c’est difficilement acceptable en l’état, mais concrètement, comment gère-t-on ? Qui a le dernier mot ? Qui décide du rythme ? Si vous ajoutez quelques rancœurs et un peu de jalousie, les organisations peuvent devenir très compliquées… Voire explosives !
Les parents alternants vous ont-ils remonté des points positifs ? S’ils ne veulent plus changer de rythme, il doit y en avoir !
Bien sûr ! J’ai rencontré au final des gens plutôt créatifs, qui arrivaient à se recréer des espaces pour eux, avec leurs enfants mais aussi sans enfant ! Comme parents et comme personne à part entière. Pour beaucoup, les débuts de la résidence alternée marquent le moment où ils peuvent à nouveau faire ce qu’ils ont vraiment envie de faire, sans les compromis de couple. C’est aussi un moment où ils redécouvrent des espaces, des marges de manœuvre qu’ils n’avaient plus. Ils retrouvent du temps pour eux.
Ce qui revient beaucoup comme expérience de l’alternance, c’est la possibilité d’être à 200% avec l’enfant une semaine, et d’avoir du temps pour soi – et pour les rencontres ! – la suivante. Je peux vous assurer que la majorité des parents que j’ai rencontrés ne passait pas une semaine à pleurer quand ils n’avaient pas leurs enfants ! Certains me disaient même : “des couples d’amis sont relativement jaloux de ce que je peux faire pour moi une semaine sur deux, jaloux du fait que je ne vis pas 100% de mon temps collé à mes enfants.’”
Un autre rythme en somme… Les parents séparés alternants cherchent-ils forcément à refaire famille ?
Au début, les parents alternants racontent souvent le même sentiment d’avoir raté quelque chose. Qu’on le veuille ou non, on a tous en tête le modèle papa-maman-les enfants. Cela reste la norme malgré le nombre de formes de famille différentes qui existent aujourd’hui. Il faut un peu de temps pour arriver à voir qu’on peut inventer autre chose. Qu’on peut être un parent épanoui, seul, sans avoir forcément quelqu’un dans sa vie.
On regarde toujours la séparation de façon négative alors que c’est aussi une façon de se découvrir soi, comme personne, mais aussi soi avec ses enfants. En inventant d’autres manières de faire et en découvrant qu’on n’est pas obligés d’être en couple pour élever un enfant.
Quand je demandais aux personnes que j’interrogeais : “est-ce que vous cherchez à vous remettre en couple?”, les hommes avaient tendance à répondre oui, alors que les femmes disaient préférer prendre leur temps. Certaines partageaient même un certain soulagement : “enfin, j’en suis sortie !”. Mais au final, j’ai pu observer que les hommes, eux aussi, se contentent très bien de rester seuls.
Pourquoi « résidence alternée » et non « garde alternée » ?
Dans la rue, avec les autres parents, on parle tous (ou presque) de « garde alternée ». Pourtant, le terme officiel est bien « résidence alternée » et ce, depuis quelques années déjà ! « Le mot garde n’existe plus en droit depuis 1987, précise ainsi Benoît Hachet. Il n’y a plus de notion de garde : il y a d’un côté la responsabilité parentale (qui est partagée par les deux parents), de l’autre la résidence qui est elle, alternée, selon le rythme choisi. Au final, on ne garde que les moutons, pas les enfants (on les élève, eux) ». Et le sociologue de s’interroger malicieusement « Employer “garde” à ce point, plus de 35 ans après la disparition officielle de l’expression, n’est-ce pas le signe qu’on veut les « garder » pour soi, nos enfants ? »
Et que se passe-t-il pour ces parents lorsque les enfants grandissent ? Comment s’arrête la résidence alternée ? Et quand : à l’adolescence, à la majorité, quand les enfants commencent à travailler ?
Quand on regarde les statistiques de l’INSEE, l’âge auquel les enfants vivent le plus en résidence alternée, c’est à 9 ans. Avant, il y en a peu et après, ça diminue. La courbe fait une cloche et baisse relativement jusqu’à 15-16 ans.
A partir de là, on va retrouver des situations où les grands enfants vont dire “j’en ai marre de bouger, je reste là”. Souvent aussi, à l’adolescence, ils finissent par ne plus s’entendre avec leur père ou leur mère et vont préférer s’installer à 100% chez l’autre. J’ai ainsi vu des parents qui étaient toujours en alternance mais seulement avec un de leurs enfants (et pas tous). Je me suis ainsi aperçu que les fratries peuvent assez souvent se dissocier, alors que c’est contraire aux injonctions de la Justice qui martèle qu’il ne faut pas séparer les fratries. Dans mon enquête, j’ai relevé 7% environ de fratries séparées lors de l’alternance. Mais les écarts d’âge jouent beaucoup, c’est vrai, les différences de tempérament aussi. Il arrive que les enfants ne s’entendent pas du tout et que ce soit plus simple comme ça…
Il y a aussi les enfants qui grandissent et auxquels les parents disent “tu es grand maintenant, fais ce que tu veux, on se voit quand tu veux”… mais qui, malgré tout, continuent à partager le temps de façon extrêmement symétrique. Ces enfants “légitimistes” comme je les appelle, quand ils rentrent de leur université le week-end, continuent de partager strictement en deux leur temps de présence… parfois à 10 minutes près ! C’est pour eux un fonctionnement évident, très ancré. Ils n’y réfléchissent d’ailleurs pas forcément, ne se demandent pas s’ils en ont envie. Comme quand ils étaient enfant, c’est toujours la moitié chez papa, et l’autre chez maman.
A lire : Une semaine sur deux, comment les parents séparés se réinventent, de Benoît Hachet (Editions Les Arènes)
Que font les parents quand ils n’ont pas leurs enfants ? Ont-ils tout en double pour les enfants ? Comment s’organisent-ils les plannings et le quotidien avec leur ex, voire en fonction des ex des nouveaux compagnons de leur ex ? Autant de questions concrètes abordées dans ce livre par Benoît Hachet, qui a mené pendant 7 ans une grande enquête sur la résidence alternée, pour dresser le portrait étonnant de ces parents alternants.
Le livre a fait l’objet d’une adaptation… au théâtre, en septembre 2022 ! Une représentation pour mettre en scène les témoignages recueillis que vous pouvez retrouver dans la vidéo ci-dessous.