Mon enfant enchaîne les crises depuis la séparation, comment réagir ?
Pour les enfants, la séparation de leurs parents est un big bang, l’explosion du seul monde qu’ils ont connu jusque-là. Dans les mois et les années qui suivent, ils sont souvent sujets à des débordements d’émotions qui entraînent crises, colères, pleurs… Mettant sur les nerfs des parents déjà mis à rude épreuve par leur divorce et ses conséquences. Comment faire face avec bienveillance ? Les aider et leur donner des repères sans craquer ? Les conseils de Marine Manard, neuropsychologue et autrice de “Eduquer sans violence”.
Comment la séparation de ses parents joue-t-il sur le bien-être émotionnel de l’enfant ?
Marine Manard : Une famille qui se sépare, c’est toujours un énorme bouleversement. Tout se retrouve modifié : la dynamique familiale, le lieu de vie… L’univers de l’enfant en entier est modifié, tous ses repères sont chamboulés. Cela peut créer une certaine insécurité chez lui. La solution va passer par le fait de lui permettre de retrouver rapidement un nouvel équilibre. Mais tout dépend de la séparation : plus les parents restent en bons termes, plus c’est rassurant pour l’enfant, plus cela se fera facilement.
Au contraire, en cas de violence, tout ce dont il a été témoin va créer des motifs supplémentaires d’insécurité qui peuvent aller jusqu’à de vrais traumatismes qui vont impacter fortement le comportement de l’enfant.
Comment limiter l’impact de la séparation sur l’enfant ?
Je pense qu’il est bon d’expliquer autant que possible la séparation et ses conséquences à l’enfant. Même s’il est jeune, je suis persuadée qu’on peut tout expliquer, avec les formulations justes.
Ça dépend d’ailleurs plus de l’enfant que de son âge : chaque parent est le mieux placé pour savoir comment aborder les choses, quels mots choisir, etc.
Une chose est sûre : moins on laisse de zones d’ombre, mieux c’est ! Car l’enfant peut se sentir coupable de la séparation même s’il n’est pas capable de le dire comme tel. Mais il peut très bien penser dans sa tête “Papa et maman se séparent parce que j’ai pas mangé mon brocolis !” ou quelque chose du genre.
En réalité, il a besoin d’une explication. Si on ne lui en donne pas, il va s’inventer une explication qui peut être bien pire que la réalité
Ensuite, dans un deuxième temps, il s’agit essentiellement d’écouter l’enfant, d’essayer de l’amener à s’exprimer. Nous, avec notre regard d’adulte, certaines choses nous paraissent anodines alors qu’elles seront pour l’enfant extrêmement grave. Un exemple ? L’enfant qui a oublié un jouet chez son autre parent. Vous, vous n’avez pas envie de reprendre la voiture, pour 20 km aller et autant au retour, pour aller chercher un dinosaure en plastique ! Et ça va être la crise.
Se décentrer un peu, quand on est adulte, permet de comprendre la crise : bien sûr, on n’est pas obligé d’aller chercher le dinosaure mais je conseille au moins de regarder l’enfant avec empathie pour essayer de comprendre pourquoi là, ce dinosaure est aussi important, ce qu’il représente, ce que l’enfant vit par ailleurs, entre ses deux maisons… Même si c’est extrêmement difficile pour les parents car ils sont eux-mêmes fragilisés et fatigués par la séparation…
Que veulent dire ces crises, ces “caprices” après la séparation ?
Pour moi, le caprice n’existe pas. Même pour les adultes. Face à un enfant qui se roule par terre au supermarché, on va considérer que c’est un caprice mais souvent quand on creuse, il y a autre chose derrière. Bien sûr, il y a l’envie immédiate d’avoir ce jouet bien en vue en rayon. Mais si on réfléchit un peu, même nous, adultes, on se fait avoir de temps à autre. Nous aussi, on peut avoir très envie d’une chose dans le magasin. On ne se rend pas compte mais en tant qu’adulte, on est soumis aux mêmes envies… sauf que nous, on peut y répondre. Contrairement à un enfant, on peut se dire “ce paquet de bonbons ? Allez, tant pis, je l’achète !” Personne ne sera là pour nous dire non !
L’enfant, lui, on a va lui dire non… Ou parfois oui, d’ailleurs, ce qui est difficile à comprendre pour lui.
Mais surtout la crise peut venir de ce que l’enfant a vécu avant, dans sa journée… Par exemple, il peut être agité à cause de ce qu’il a vécu à l’école, exactement… comme nous aussi !
Rappelons-nous ces journées qui se passent mal : on renverse son café, on tache notre chemisier fétiche, pile celui qu’on voulait mettre pour se sentir bien ! Ensuite il y a la collègue qui nous prend la tête, on rentre le lave-vaisselle n’est pas vidé… Bim, c’est la goutte d’eau ! Est-ce que c’est le lave-vaisselle en lui-même le problème ? Non c’est la petite étincelle fait exploser la crise. Pour les enfants, c’est pareil. Avant de se rouler par terre au rayon bonbons,: il a peut être vécu plein de choses à l’école, et ce paquet, c’est l’étincelle !
La séparation peut créer un terrain favorable à ces étincelles. Mais il faut sortir de l’idée d’un rapport de force qui se cacherait derrière ces caprices. Aucun enfant n’a intérêt à mettre son parent à dos : nous sommes des mammifères intelligents et les petits savent dépendre de nous, parents pour survivre. Or on a aucun intérêt à se fâcher avec quelqu’un qui nous nourrit et dont dépend notre survie !
Pour autant, ces crises sont difficiles à vivre pour eux comme pour nous. Comment les gérer ?
Je conseille d’anticiper au maximum pour éviter les circonstances pouvant créer de grandes frustrations… et des crises. Pour reprendre notre exemple, avant d’aller au supermarché : je conseille d’expliquer à l’enfant ce qu’on va y faire, ce qui va se passer : “on va aller à tel endroit, on va faire ça, on ne va pas acheter ça”. Lui expliquer le programme et, si possible, lui laisser un peu de choix (“tu préfères passer à la boulangerie ou à la pharmacie en premier ?”) : il aura ainsi l’impression d’avoir un peu le droit de choisir et de participer activement à la vie de la famille.
Au supermarché, ma technique préférée quand l’enfant veut quelque chose en particulier, c’est la technique de la photo. “Cela te ferait plaisir ? On le photographie pour que tu le demandes pour ton anniversaire.” Il comprendra ainsi que vous avez noté ce qui l’intéressait et cela le rassurera de savoir qu’à la prochaine fête, il pourra le retrouver dans sa liste et s’il le souhaite encore, le demander”
L’intérêt : cela va aider l’enfant à comprendre qu’il est entendu, plutôt que lui répliquer “Mais t’as déjà 1000 jouets !”… Et cela va permettre de limiter la frustration.
Certains parents pensent que générer de la frustration chez un enfant lui permet d’apprendre à la gérer. J’estime qu’au contraire, cela lui apprend à se résigner mais pas à gérer. Si je vous tape dans le tibia toutes les 10 minutes, est-ce que cela va vous apprendre à gérer la douleur ? Pas sûr ! Pour moi, mieux vaut apprendre à éviter les frustrations inutiles et face aux frustrations difficiles, montrer à l’enfant comment faire pour réguler ces sentiments.
Cela signifie l’accompagner avec ce qu’on appelle la réévaluation cognitive : on va essayer de lui faire voir les choses différemment pour que le ressenti soit moins désagréable. Comment ? En commençant par lui parler : “Ok, je comprends tu es super en colère, ça te fait quoi dans le corps ? J’ai bien compris, c’est hyper énervant, comment peut-on faire pour voir les choses différemment ?” Il n’a pas envie de se promener ? On peut lui proposer : “Il fait beau, qu’est-ce qu’on peut faire dehors qui te ferait plaisir ?” L’objectif : les encourager à faire d’eux-mêmes ce pas de côté, qui leur permet de changer de perception et de faire baisser leur ressenti désagréable.
A lire
Envie de mieux comprendre comment “fonctionne votre enfant” ? Comment répondre à ses réactions avec bienveillance ? Eviter toutes les formes de violence éducative ? Marine Manard a écrit ce livre “trousse à outils” pour aider tous les parents à éviter punitions, chantage, menaces, humiliations et intimidations… Et à les remplacer par des méthodes efficaces pour retrouver des relations plus sereines avec leurs enfants.
Eduquer sans violences, de Marine Manard, Editions Dunod, 17, 90 euros. Commandez-le ici
Et si l’on n’a pas réussi à garder son calme, que faire ?
Avant toute chose, il n’est pas toujours possible de garder son calme ! On peut être dans le désir d’une éducation positive, bienveillante, etc… et pour autant se retrouver à crier, parce qu’on est fatigué ou autre.
Il faut comprendre que ce n’est pas du tout la même chose de crier sur un enfant pour lui faire peur et lui apprendre à ne plus jamais demander un paquet de bonbons, et crier sans qu’on le veuille, parce que sur le moment, c’est trop. Les violences éducatives ordinaires, c’est penser que la violence peut servir à apprendre, à inculquer quelque chose.
Déraper et s’en vouloir, cela n’a rien à voir. Cela apprend d’ailleurs à l’enfant que son parent n’est pas parfait. Et cela autorise l’enfant à ne pas être parfait, par la même occasion.
Cela nous permet aussi d’apprendre à trouver des solutions pour ne plus vriller à l’avenir. Un exemple : rien ne nous empêche, en tant que parent, de demander pardon à l’enfant en lui disant “Je suis désolé.e, on va essayer de trouver des solutions ensemble pour ne plus que ça se reproduise ».
Parfois, nous sommes freinés par l’idée que les parents ont toujours raison et ne doivent pas demander pardon. Pourtant, cela peut être une très belle leçon de vie. Notamment car cela montre à l’enfant que l’on peut expliquer nos comportements par des raisons internes : non, ce n’est pas la faute à la voisine ou à d’autres, mais c’est notre faute à nous ! Ne pas toujours reporter la faute sur les autres, mais réfléchir à ce que l’on a fait est difficile et demande un réel apprentissage. Demander pardon aussi. Pour tout cela, nous pouvons servir de modèles !
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