Couple : séparés mais sous le même toit
Lorsqu’un couple se sépare, il arrive que les deux conjoints continuent à vivre sous le même toit un certain temps. Cette situation est-elle fréquente ? Combien de temps dure-t-elle ? Quelles en sont les raisons ? La présence d’enfants a-t-elle une influence ? La possession de biens en commun également ? Notre analyse de l’enquête EPIC nous renseigne sur une situation de cohabitation mal connue jusqu’ici.
La séparation comme objet d’étude
Si les facteurs et les conséquences de la rupture des couples sont souvent étudiés, on sait en revanche peu de choses sur le processus de séparation. De la même manière que la formation des couples se fait par étapes (rencontre, relations sexuelles, vie commune, officialisation de l’union), lesquelles sont de plus en plus déconnectées les unes des autres, la « dé-formation » des couples est souvent progressive et structurée autour de différents jalons : décision de se séparer, décohabitation, partage des biens, rupture légale le cas échéant.
On se sépare rarement du jour au lendemain, ce qui conduit à des périodes plus ou moins longues durant lesquelles les ex-conjoints continuent à vivre ensemble, bien que séparés. L’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux conduite par l’INED et l’Insee en 2014 offre pour la première fois la possibilité d’estimer la fréquence de ces situations et les facteurs qui leur sont associés.
La cohabitation post-séparation, plus courante qu’il n’y parait
Un tiers des personnes séparées entre 1984 et 2013 déclarent avoir continué à vivre sous le même toit une fois prise la décision de se séparer. Cela inclut parfois des périodes très brèves, de quelques jours voire quelques semaines. Ces épisodes de courte durée concernent davantage les séparations les plus récentes, moins sujettes à l’oubli. En ne considérant comme cohabitations post-séparation que celles ayant duré au moins deux mois (seuil retenu ici), continuer à vivre ensemble après avoir pris la décision de se séparer concerne une rupture sur quatre (23 %). Les femmes ont une plus forte propension que les hommes à relater une période de vie sous le même toit après la séparation (26 % contre 19 %). Cela tient au fait que les initiateurs de la rupture, le plus souvent les femmes, tendent à la dater plus précocement.
Si ce type d’arrangement est le plus souvent temporaire (de 2 mois à moins de 6 mois), 20 % des couples qui ont continué à vivre ensemble l’ont fait durant au moins un an (tableau).
La proportion de séparations suivies d’une période où les ex-partenaires continuent à cohabiter n’a que très peu évoluée au cours des trente dernières années même si, en termes de nombre, cela concerne de plus en plus de couples en raison de la fréquence plus élevée des séparations. Notamment, aucune augmentation significative du phénomène n’est observée pour les cohortes de séparation postérieures à 2008, alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que la crise économique de 2008, en affectant les conditions de vie des ménages, allonge le processus de décohabitation des partenaires (difficultés à prendre des logements séparés par exemple).
Il est plus fréquent de poursuivre la vie commune quand on a des enfants
Poursuivre la vie commune après la séparation est d’abord étroitement lié à la situation familiale (figure 1), en particulier au fait d’avoir ou non des enfants et, le cas échéant, de leur âge. La probabilité d’avoir continué à vivre ensemble pendant au moins deux mois est plus fréquente lorsque les ex-conjoints ont des enfants dont le plus jeune a moins de quinze ans.
Lorsque les enfants sont jeunes, la poursuite de la vie commune permet éventuellement de maintenir le couple parental, de préparer les enfants à la séparation et de redéfinir l’organisation quotidienne de la famille (résidences, changement d’école, etc.). Lorsque les enfants sont plus âgés, donc plus autonomes, ces enjeux sont moins prégnants.
Union et biens en commun
Indépendamment de la présence d’enfants, la forme de l’union a également un effet en tant que tel (figure 1). Les personnes mariées (qu’il s’agisse d’un mariage civil ou religieux) sont plus enclines à continuer à vivre ensemble que celles en union libre ou pacsées.
Cette différence peut tenir aux démarches préalables à un divorce, nécessitant la consultation d’un avocat voire l’attente d’un jugement, contrairement à une union consensuelle ou à un pacs dont la dissolution ne nécessite que l’envoi d’un courrier.
La possession de biens mobiliers ou immobiliers communs, qui concerne les trois quarts des couples séparés, exerce un effet important. Lorsque des biens sont partagés, la probabilité d’avoir continué à vivre ensemble sous le même toit est plus de deux fois supérieure (26 % contre 12 % en l’absence de biens communs). La décision de savoir qui va quitter le logement (l’un des deux, ou les deux), la vente éventuelle de celui-ci ou le partage des biens mobiliers sont autant d’éléments qui contribuent à allonger le processus de séparation et favorisent la poursuite de la cohabitation.
La cohabitation, plus courante après une longue vie commune
En écho aux facteurs familiaux et matériels, la vie commune post-séparation est plus fréquente lorsque la relation a duré longtemps. Seuls 11 % des personnes ayant eu une relation de couple de moins de trois ans l’expérimentent, contre 38 % lorsque la relation a duré au moins quinze ans.
L’âge auquel survient la séparation joue aussi positivement sur le fait de continuer à vivre ensemble. À caractéristiques comparables, plus la personne est âgée lorsqu’elle se sépare, plus la probabilité d’avoir poursuivi la vie commune augmente : c’est le cas de 19 % des personnes séparées avant trente ans contre 30 % à quarante ans ou plus (figure 1). Une longue vie commune s’accompagne d’habitudes quotidiennes dont il peut être difficile de se détacher. L’emprise de ces routines est susceptible d’être plus importante avec l’âge et la crainte de l’isolement pourrait favoriser la poursuite de la vie à deux aux âges plus avancés.
Contraintes financières et parentalité
Les personnes ayant continué à vivre ensemble après avoir décidé de se séparer étaient interrogées sur les raisons qui les avaient conduites à cette situation (plusieurs raisons pouvaient être avancées). Le motif le plus fréquent est d’ordre « pratique ou logistique, le temps de s’organiser » (70 %). « Pour les enfants » arrive ensuite (24 % de l’ensemble des couples séparés, 33 % de ceux ayant eu au moins un enfant ensemble) devant les raisons d’ordre « financier » (21 %).
Raisons et durée de la période de vie commune sont étroitement liées (figure 2). Les co-résidences de courte durée (de 2 mois à moins de 6 mois) répondent très majoritairement à des raisons « pratiques ou logistiques ». Mais, plus la poursuite de la vie commune a été longue, plus elle est associée à la présence d’enfants et à des considérations financières telles que la difficulté et/ou le coût de logements séparés.
De nombreux facteurs sociodémographiques sont ainsi corrélés au fait de vivre ensemble sous le même toit après la séparation. D’autres aspects plus relationnels tels la qualité de l’entente conjugale juste avant la rupture semblent également liés à cette expérience. Le fait pour les ex-conjoints d’estimer que leur relation était bonne avant la séparation favorise à la fois l’expérience de la cohabitation post-séparation et sa durée. Des indicateurs plus subjectifs dans de futures enquêtes permettront de mieux étudier la manière dont les personnes vivent ces situations.
Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 582, « Continuer à vivre sous le même toit après la séparation ».
Arnaud Régnier-Loilier, Chercheur à l’INED , Institut National d’Études Démographiques (INED) et Wilfried Rault, Chercheur à l’INED, Institut National d’Études Démographiques (INED)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.