Belle-mère : “Il n’y a pas à réussir sa beau-parentalité, pas de trophée à décrocher… On peut s’autoriser à être soi !”
“Figurante”, c’est l’histoire d’une jeune femme devenue belle-mère avant de devenir mère. Ses espoirs et les douches froides, ses questionnements et les incompréhensions dans le couple, les mouvements de fonds imperceptibles et le raz-de-marée de l’adolescence… Ce journal intime illustré nous fait plonger dans les ressentis d’Anne-Laure – y compris les plus inavouables. Une BD forte et réconfortante à la fois, dans laquelle ses autrices démontrent subtilement la complexité du rôle pour mieux dénoncer la pression qui pèse sur les belles-mères. Et ainsi alléger au passage, le cœur de toutes celles qui se reconnaîtront sous les traits et les émotions Anne-Laure.
Les Nichées : Comment est née l’idée de « Figurante », ce journal intime d’une jeune femme qui devient belle-mère avant d’être mère ?
Sophie Adriansen : Nous avions travaillé ensemble sur « La Remplaçante » en 2021, qui parlait de la dépression du post partum. En discutant depuis, nous nous sommes rendu compte que nous avions toutes les deux rencontré un homme qui avait des enfants avant d’envisager la maternité pour nous. Et même si nous vivons dans des configurations différentes, nous avons réalisé que nous partagions pas mal de choses sur la beau-parentalité. C’est comme ça qu’est née l’idée de ce journal d’Anne-Laure, belle-mère qui dit ce qu’on ne peut pas dire et ce qu’on ne veut pas attendre sur le sujet, c’est-à-dire aussi bien le positif que le “pas positif”. Comme par exemple, la sensation de se retrouver parfois en rivalité avec son bel-enfant et tous les tabous qui entourent ce sujet-là… Le tout incarné par ce personnage de femme qui porte beaucoup trop de choses à son goût sur ses épaules.
Les sentiments “mauvais” de la belle-mère et la confiance en soi
Les Nichées : La forme du journal intime justement, c’était important pour vous, pour aborder ce sujet des belles-mères ?
Mathou : Le journal intime permet d’aller creuser au plus profond de ce que ressent Anne-Laure et d’aborder ce qu’on n’ose pas dire autrement. Car pour moi, un des problèmes principaux de la belle-mère, c’est qu’elle a rarement quelqu’un avec qui partageait ses ressentis difficiles. Simplement parce qu’on n’ose pas parler de ce qu’on ressent, par peur de passer pour un monstre, un ovni ou un peu des deux. Même si ça fait maintenant 17 ans que je suis belle-mère, même si mes amies ont appris à m’écouter (parfois sans comprendre), je peux dire que tous les sentiments « mauvais », difficilement avouables qui peuvent nous traverser, jouent énormément sur la confiance en soi. Personnellement, je me suis beaucoup interrogée sur le fait d’être un être humain de qualité. Et je vous assure que c’était une question que je ne posais jamais avant d’être belle-mère, justement.
Parce que ce n’est pas facile d’avouer que t’es jalouse d’un enfant ou que tu ressens de la haine pour une femme que tu ne vois jamais… juste parce que c’est l’ex de ton mec. Non seulement t’es pas fière de ça, mais tu peux avoir l’impression que ça montre le pire de toi-même. Alors forcément, ça fait du bien de réaliser qu’on n’est pas seule à ressentir ça. Et que non, on n’est pas des monstres !
A lire !
Figurante, Journal d’une belle-mère qui ne voulait pas d’un second rôle, de Sophie Adriansen et Mathou, Editions Robert Laffont, 19 euros
Les Nichées : Vous pensez que c’est à cause de cela – ce côté un peu honteux et incompris – qu’on a si peu entendu les belles-mères jusque-là ?
Mathou : Pour moi, nous, les belles-mères, sommes les dernières roues du carrosse. Les dernières personnes à qui on va penser, à qui on va demander si ça va, si elles sont à l’aise. Parce qu’avant tout, on pense aux enfants, qui sont au milieu de la séparation, qui souffrent de voir leurs parents séparés. Ensuite, on pense aux parents, qui sont en plein deuil avec la séparation, qui sont souvent déchirés avec les problèmes de garde, etc… Et puis nous… et bien on arrive après. Surtout si on n’a eu le malheur d’être à l’origine de la rupture, si on a “brisé la famille initiale”… Alors là, vraiment, de quoi viendrait-on se plaindre ? On a récupéré le mec, l’enfant, la famille…
Sophie Adriansen : Sans compter une espèce de sentence parce que “on savait dès le départ que cet homme avait un enfant”. Parce qu’on l’a choisi comme ça et parce qu’on reste, on n’a plus voix au chapitre sur la question. Ça fait partie du choix initial, c’est donc comme si on l’avait accepté une fois pour toutes. Point.
En famille recomposée, un décalage dû à un idéal pas toujours partagé
Les Nichées : Et lorsqu’on n’a plus voix au chapitre, on devient une simple figurante. Vous pensez que c’est inhérent au rôle de belle-mère ?
Sophie Adriansen : J’ai l’impression que c’est inhérent à ce modèle de famille recomposée où il y a des enfants d’un seul côté et au milieu, une figure masculine qui ne peut pas choisir. Car il y a au centre de tout ça, une équation impossible à résoudre. D’un côté, l’idéal pour l’homme c’est d’avoir avec lui tous ses enfants (c’est-à-dire pour la belle-mère, sa fille et sa belle-fille) et sa compagne. Mais pour Anne-Laure, l’idéal, c’est quand sa belle-fille n’est pas là et qu’elle a son homme et leur fille à eux. En clair, l’idéal n’est pas partagé. C’est ce décalage que l’on voulait présenter, car il est imperceptible pour toutes les personnes qui ne vivent pas cette situation de recomposition.
Mais nous voulions montrer aussi qu’autour de ces difficultés, se crée forcément un lien entre le beau-parent et ses beaux-enfants. Car même si ce beau-parent n’a pas d’existence administrative ou juridique, il existe dans la vie de l’enfant et le lien peut perdurer… Même quand les adultes ne s’aiment plus.
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Les Nichées : Effectivement, pour Anne-Laure, quand on s’occupe d’un enfant, il reste toujours quelque chose de fort.
Sophie Adriansen : Je reste persuadée qu’il en reste toujours quelque chose des deux côtés de la relation, même s’il y a une séparation physique, même si on ne se voit plus. Il reste ce que l’on s’est apporté dans les deux sens. Par exemple, une belle-mère m’a expliqué que ça ne « marchait pas » avec ses beaux-enfants actuels, mais que toutes les semaines, elle dîne avec son ancienne belle-fille. C’est aussi une histoire de rencontre.
Mathou : Pour moi, ces liens dépendent aussi énormément de la gestion du conflit de loyauté par l’enfant, qui est souvent pris entre sa mère et sa belle-mère. C’est un sujet central et j’ai réalisé tard que j’étais tombée en plein dans le panneau quand j’avais 25 ans. Ce qui est intéressant dans l’histoire d’Anne-Laure et de Myrtille, c’est finalement ce qui reste de la relation quand la rivalité avec la mère s’est éteinte. Comment le lien peut évoluer une fois que la belle-fille ne se demande plus quelle personne entre les deux elle doit satisfaire… et une fois que la belle-mère n’a plus à se préoccuper de la place qu’elle occupe auprès de l’enfant entre le père et la mère.
Des belles-mères en CDD face à des beaux-enfants en CDI ? La question du temps – et de l’attente – en famille recomposée…
Cette “inégalité” est souvent au coeur de la rivalité qui oppose les enfants et la nouvelle femme du père (et ils savent la rappeler régulièrement). Mais Sophie Adriansen pousse la métaphore plus loin : “Je pense que la belle-mère est en permanence en période d’essai ! Ce qui est hyper inconfortable, parce que le principe de la période d’essai, c’est qu’on attend qu’elle se termine pour que notre situation se stabilise et qu’on puisse se reposer. Mais en tant que belle-mère, ça n’arrive jamais ! La belle-mère est souvent dans l’attente… longtemps. Mais le problème, c’est que le temps passe. Comme pour Anne-Laure qui réalise que si elle attend toujours que la situation change, que Myrtille grandisse pour que ça aille mieux, ce sont des années de sa fille qu’elle “manque” pendant ce temps. C’est absolument insoluble ! Et c’est malheureusement très partagé par les belles-mères, cette sensation d’avoir perdu des années à attendre, à avoir rongé leur frein.”
Etre belle-mère, bien plus compliqué qu’être mère
Les Nichées: Le sous-titre de Figurante est “Journal d’une belle-mère qui ne voulait pas d’un second rôle”. Prendre la parole, oser raconter les difficultés, comme vous le faites avec ce livre, c’est déjà pour vous, sortir de ce second rôle ?
Mathou : Il y a 17 ans, quand je suis devenue belle-mère, j’aurais bien aimé savoir un peu ce qui m’attendait. Mais je n’avais à l’époque aucune ressource, juste mes projections que ça allait être super. Que j’allais avoir un enfant de 3 ans un week-end sur deux et que ça allait être génial. Personne ne m’a dit « attention », personne ne m’a alertée. Les questions de loyauté, de place… je n’avais rien anticipé de tout ça.
Je pense qu’en parler de plus en plus permet aux femmes d’être prévenues que ça ne va pas forcément être aussi facile, histoire de tomber d’un peu moins haut. Et puis, si j’avais compris tout de suite le positionnement de mon mec, si je lui avais demandé dès le départ de me faire plus de place, si je n’avais pas mis les pieds en plein de ce conflit de loyauté d’entrée de jeu, j’aurais mieux réagi.
Alors oui, je pense que s’il y a plus de ressources, les belles-mères existeront mieux, on s’aimera mieux, et tout se passera mieux pour tous les membres de cette nouvelle entité, pour qu’ils trouvent tous leur place et que tout se passe bien. Car c’est possible !
Les Nichées : Le livre se termine sur quelques mots très forts sur le fait que la belle-mère et la belle-fille, malgré tout ce qu’elles ont traversé, ont fait de leur mieux. C’est le message que vous aimeriez que les belles-mères retiennent ?
Sophie Adriansen : On commence tout juste à accepter la parole des mères qui disent que ce n’est pas simple, voire carrément difficile, voire pour certaines, qu’elles regrettent par moments. Mais on n’est pas encore prêts à entendre ces choses-là de la part des belles-mères. Donc oui, pour nous c’était important de faire baisser la pression qui pèse sur ces femmes. Il n’y a pas à réussir sa beau-parentalité, comme il n’y a pas à réussir à sa maternité ! Il n’y a pas de trophée à décrocher, on peut vraiment s’autoriser à être soi.
Mathou : Etre belle-mère a été 1000 fois plus compliqué pour moi qu’être mère. J’ai beaucoup ressenti cette impression d’être tout le temps dans l’erreur. Comme la place n’est pas définie, on tâtonne, on ne sait pas vraiment ce qu’on attend de nous mais en plus, on nous renvoie dans les dents en permanence qu’on n’est pas mère, qu’on ne sait rien. Comme si personne – même pas nous ! – n’était jamais content de nous. Pourtant dans la vie, on ne fait jamais que ce qu’on peut. Du mieux qu’on peut. J’espère que ce livre sera un gros câlin aux belles-mères et qu’il parviendra à leur faire passer le message que : « Ça va aller, on a le droit de ressentir tout ça, comme Anne-Laure ».
A lire !
Figurante, Journal d’une belle-mère qui ne voulait pas d’un second rôle, de Sophie Adriansen et Mathou, Editions Robert Laffont, 19 euros