Ces ressorts psy qui menacent l’équilibre des familles recomposées
Vivre en famille recomposée est un vrai challenge. Surtout qu’au-delà des problématiques pratiques quotidiennes (l’argent, la cohabitation, etc…), des ressorts psychologiques peuvent venir compliquer la vie commune. Les plus dangereux pour l’équilibre familial : la peur de perdre ses enfants et la culpabilité, deux sentiments puissants. Plongée dans le vécu émotionnel des parents pour comprendre ce qui se joue et éviter les grands pièges de la recomposition.
“Sa fille prend toute la place, nous n’avons plus de vie”, “Mes enfants ne me parlent quasiment plus depuis que j’ai rencontré ma compagne, j’ai peur de les perdre”, “Le week-end où ses enfants sont là, c’est comme si je n’existais plus”… Ces craintes, ces ressentis de décalage, nous sommes nombreux à l’avoir expérimenté en famille recomposée à des degrés divers. Mais pour beaucoup, cela peut devenir une vraie souffrance et mettre en danger le nouveau couple.
Ce qui est en jeu derrière ces situations et ces ressentis ? “Un monstre à deux têtes” répond le psychiatre et psychothérapeute Christophe Fauré, dans son ouvrage “Comment t’aimer, toi et tes enfants?” consacré à famille recomposée. Les deux visages en question : la peur et la culpabilité.
La peur de perdre ses enfants ou l’amour de ses enfants
Qui dit séparation, dit éloignement physique de ses enfants. Une semaine sur deux en garde alternée, plus ou moins souvent selon si l’on a obtenu la garde dans les autres cas. Comment rester père au rythme d’“un week-end sur deux et la moitié des vacances” ? Comment rester proche de ses enfants quand on les réveillait tous les matins et les couchait tous les soirs et que désormais, c’est leur autre parent (et parfois un beau-parent) qui le fait souvent ?
Nombre de parents séparés, surtout s’ils voient peu leurs enfants, vivent avec l’angoisse de voir leurs liens avec leurs enfants se détendre, s’amenuiser voire disparaître avec le temps… Pour les pères, qui ont encore moins souvent la garde que les mères, la peur de perdre littéralement la garde de leurs enfants peut être encore plus forte.
Cette peur, omniprésente, joue bien sûr sur les relations avec les enfants – qui sont eux-mêmes souvent dans la peine de moins voir leurs parents mais qui ressentent aussi cette peur – mais a également un impact fort sur le nouveau couple ou la nouvelle famille. Car la tentation est forte pour le parent biologique de “tout passer” aux enfants le week-end où ils sont là, de ne pas les contrarier, de leur laisser toute la place… Et de négliger leur partenaire et ses potentiels enfants. Sur Psychologies.com, Mélody confie ainsi “Je vis depuis peu avec mon compagnon et sa fille de 4 ans, et c’est difficile. L’enfant a un fort caractère, mon compagnon dit que, pour lui, elle passera toujours avant tout, et elle vient même dormir avec nous.” Son ressenti ? “Je ne trouve pas ma place.”
Quand un parent a tendance à instrumentaliser les enfants pour faire du tort à l’autre parent, cette crainte assez naturelle peut malheureusement devenir une réalité. Cette manipulation, que l’on appelle aussi aliénation parentale dans ses formes les plus extrêmes (et qui est un concept assez polémique aujourd’hui), est la crainte de nombreux pères notamment. Ses conséquences sont toujours lourdes : déjà pour les enfants, pour qui cela est toujours préjudiciable, mais aussi pour le père et son nouveau couple, comme l’explique Christophe Fauré : “Pour ne pas prendre le risque de perdre le lien avec leur enfant, certains pères vont jusqu’à céder à toutes les demandes de leur ex-compagne pour éviter tout risque de conflit ou à laisser agir leurs enfants sans leur imposer de limites. (…) Cette attitude à tout passer à votre ex ou à votre enfant est de fait très souvent vécue par notre nouvelle compagne comme une forme de passivité. Qu’elle perçoive ou non les craintes qui vous motivent, il y a aura là une source majeure de conflits ou d’incompréhension entre vous.” Mieux vaut donc en avoir conscience très tôt, pour éviter cette pente savonneuse ou rétablir le dialogue avant qu’il ne soit trop tard.
Les ravages de la culpabilité en famille recomposée
“Je me sens coupable” est une phrase courante dans la bouche des parents séparés, tous les psys vous le diront. Culpabilité d’avoir causé la rupture du couple parental ou culpabilité de ne pas avoir réussi à garder l’autre et à sauver son couple, culpabilité de ne pas assez s’occuper de ses enfants, d’avoir rencontré quelqu’un d’autre, de s’occuper des enfants de l’autre, d’avoir fait un enfant avec son ou sa nouvelle partenaire… La liste est infinie.
Mais cette culpabilité omniprésente n’est pas sans conséquence sur l’éducation des enfants, sur les liens familiaux et la recomposition dans son ensemble. Pourquoi ? Parce qu’elle vient parasiter au quotidien votre rôle de parent, comme l’explique Christophe Fauré : “Si elle vous tient sous son joug, elle peut vous empêcher de fixer des limites pourtant nécessaires à votre enfant. Par exemple, vous hésitez à cadrer votre fille qui ne fait plus rien en classe, car vous vous dites que vous la voyez trop et qu’il est dommage de gâcher le temps que vous passez ensemble.”
Cette culpabilité envahissante est ainsi un piège dans lequel tombent nombre de parents séparés. Non seulement le parent biologique devient trop coulant… Mais l’enfant, qui plus est, finit intuitivement par comprendre assez vite qu’il a là un moyen très puissant de contrôler son parent, quel que soit son âge (un tel comportement n’est pas réservé aux ados)… Et de faire la pluie et le beau temps à la maison, à la barbe du beau-parent qui se sent encore plus invisibilisé. Fort de ce pouvoir, l’enfant “en use et en abuse, poursuit le psychiatre, jusqu’à excéder votre compagne qui vous reproche tant de laxisme…”
Comment lutter contre ces ressentis puissants
La solution pour éviter que ces ressentis et ces comportements bien humains ne mettent en danger le couple et la famille que vous êtes en train de construire ? Avant tout, prendre conscience de ces ressorts psychologiques, sans se voiler la face ou rejeter la faute sur les autres. Et en particulier prendre conscience de la place que prend la frustration, la peur ou la culpabilité dans votre vie ou celle de votre partenaire.
Ensuite en parler, entre vous au sein du couple, mais aussi avec les ex pour s’assurer, quand c’est possible, qu’il ou elle laissera assez de place à l’autre parent pour que sa relation avec les enfants s’épanouisse avec le temps, malgré la distance éventuelle. Avec les enfants également si besoin. Eux doivent comprendre que chacun a sa place et doit rester à sa place. Le pouvoir dont ils peuvent jouir sur leur parent angoissé ou culpabilisé n’est pas un cadeau et peut les déstabiliser dans leur propre construction. Il est important qu’ils restent à leur place d’enfant et qu’ils en aient eux aussi conscience.
Enfin, si les tensions sont trop fortes, s’il devient difficile pour l’un ou pour l’autre de trouver sa place dans la nouvelle configuration familiale, ne pas hésiter à consulter un psy ou un médiateur, qui aidera à identifier les peurs et les blocages de chacun et à trouver ensemble les bons compromis.
A lire :
Comment t’aimer, toi et tes enfants ? De Christophe Fauré, Albin Michel
Au Diable la culpabilité ! De Yves-Alexandre Thalmann, Jouvence