Les familles recomposées sont un terrain fertile pour les rivalités féminines
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Les familles recomposées sont un terrain fertile pour les rivalités féminines

Conflit de loyauté, jalousie, sentiment d’insécurité… Les relations entre les membres d’une famille recomposée peuvent être houleuses, notamment entre l’ex et la nouvelle femme du père, mais aussi entre la belle-fille et sa belle-mère. Les autrices de “En finir avec la rivalité féminine” ont analysé les ressorts à l’œuvre dans ces rapports de force. Elles nous aident à comprendre les origines de cette rivalité féminine et à en déjouer les pièges. Interview.

Les Nichées : Les témoignages ont tendance à le montrer : la famille recomposée semble particulièrement propice aux rivalités féminines. Vous parlez notamment dans votre livre des conflits entre la belle-mère et la ou les belles-filles. Dans quoi s’enracine cette rivalité difficilement avouable ?

Elisabeth Cadoche : “Quand nous avons recueilli les différents témoignages pour notre livre, nous avons remarqué que quand une femme entre en rivalité avec sa belle-fille, cela s’articule toujours autour de son mari. On a ainsi entendu: “il prend toujours le parti de sa fille”… Un témoignage nous a beaucoup interpellé, la belle-mère manifestant une forme de jalousie autour de sa « jolie » belle-fille. En général, ce type de réaction émane de femmes qui ne sont pas très sûres d’elles et vont se sentir d’emblée en rivalité avec leur belle-fille, parce qu’elles ont en elles une faille, une insécurité.

En sens inverse, quand on écoute les jeunes filles à propos de la nouvelle femme de leur père, on se rend très vite compte qu’il s’agit souvent d’un confliti de loyauté. Comme si, pour elles, être « du côté de » leur père ou accepter leur nouvelle femme, c’était purement et simplement trahir leur mère.” 

Anne de Montarlot : “D’un point de vue psychologique, l’architecture des rivalités entre femmes prend son empreinte dans la relation à la mère. Et pour la mère, à sa propre mère. C’est une histoire de transmission avec, à chaque fois, beaucoup d’ambivalence. Et surtout, c’est vraiment une empreinte fusionnelle. Le challenge pour une fille, en grandissant, est de se détacher de cette fusion. Or dans une famille recomposée, tout devient plus complexe : il y a déjà la relation avec la mère, un divorce, un ou des remariages… ce qui entraîne fusion, détachement, questions d’identité. Toutes les coalitions peuvent se former !

Quand une petite fille se retrouve avec la nouvelle femme de son père, c’est difficile car elle ne veut pas trahir sa mère, avec qui elle a déjà tout un passé en commun, et qu’elle doit alors composer avec une nouvelle femme avec qui les frontières encore plus brouillées. Surtout si la belle-mère s’avère beaucoup plus jeune que sa mère. Cela peut être un peu flou : est-ce que c’est une amie ? Une seconde mère ? Tout cela fait qu’il est difficile pour elle de se positionner.” 

Les Nichées : Est-elle pour autant systématique, obligatoire quand on forme une famille recomposée ?

Elisabeth Cadoche : “Pas nécessairement, nous avons découvert que cela dépendait vraiment des circonstances. Si le divorce a été houleux, par exemple, si le père était avec sa maîtresse avant la fin du mariage, la belle-fille va très difficilement accepter sa belle-mère.

A part cela, il n’y a pas de règles à proprement parler… Si ce n’est que la réputation de la belle-mère la précède. Comme si on devait obligatoirement être en rivalité. Il y a toujours quelque chose d’un peu sulfureux, d’un peu négatif autour du personnage de la belle-mère, alors même que le mot en français est positif. Comme si on lui avait accolé l’adjectif “beau” pour contrecarrer sa négativité.

A quoi cela est-il dû ? Nous n’avons trouvé qu’une étude de psychologie évolutionniste sur l’effet Cendrillon. Le psychiatre PD Scott montre ainsi que dans les familles recomposées, quand les enfants sont maltraités, c’est souvent par le beau-parent. Mais c’est tout ce que nous avons trouvé et c’est un peu sommaire.

Aujourd’hui, dans les faits, nous sommes plutôt loin de la marâtre et nous nous réjouissons de voir plus en plus de figures positives de la belle-mère, que ce soit les joyeuses tribus chez Woody Allen ou le personnage campé par Virginie Efira dans « Les enfants de l’autre ».

Les Nichées : Comment faire en sorte, en tant que belle-mère, d’éviter cet écueil pour nouer une relation apaisée avec sa belle-fille ?

Anne de Montarlot : “Le rôle du père, qui est déjà important dans une famille non éclatée, est primordial dans une famille recomposée : il doit énormément rassurer sa fille ! Parfois sa femme. Et être patient car si le conflit avec une fille et sa mère est moins déclaré, car plus inconscient, il peut avec la belle-mère, être très envahissant et prendre du temps. Leur relation à elles est un long chemin d’apprentissage, de curiosité et d’acceptation.”

Elisabeth Cadoche : “Une famille c’est une histoire. Or quand on crée une nouvelle famille, on crée une nouvelle histoire mais chacun apporte ses propres bagages. Or il est difficile, parfois, de conjuguer des histoires qui n’ont pas les mêmes racines, ni les mêmes valeurs.

La solution consiste donc à se créer une nouvelle histoire commune. Nous avons rencontré une jeune fille qui ne supportait pas sa belle-mère. La belle-mère, elle,  voyait sa belle-fille comme une manipulatrice. Mais à la faveur d’un problème à l’école, la belle-mère est venue à l’aide de sa belle-fille, sans en parler au papa. Et tout s’est passé comme si, ce jour-là, elles avaient pu poser la première brique, écrire le premier chapitre de leur histoire à elles deux. Elles n’ont pas trahi la mère de la jeune fille, elles n’ont pas mis le père au centre de leur relation  dans une position impossible. Elles ont simplement créé leur histoire à elles.”

Anne de Montarlot : “Mais ce n’est pas toujours simple car tout dépend aussi de la position et de réaction de la mère face à la belle-mère. Tout dépend du poids qu’elle va faire porter à sa fille si elle entretient avec la nouvelle femme de son mari un conflit non résolu.

Pour construire une nouvelle histoire, il faut parvenir à mettre sur la table tous les problèmes et les sensibilités de chacun :  les blessures, les conflits de loyauté, les conflits de coalition.” 

Les Nichées : C’est vrai qu’on en parle souvent davantage : la rivalité entre l’ex-femme et la nouvelle, la belle-mère donc pour les enfants, semble traverser nombre de familles recomposées. Peut-on la résumer à une simple histoire de jalousie ?

Elisabeth Cadoche : “Là aussi, nous sommes face à un présupposé : la relation ex-femme et belle-mère va être compliquée. Ce n’est pas automatique mais quand cela arrive, la rivalité va effectivement s’enraciner dans quelque chose de très viscéral. Pour la première femme, la difficulté va être la suivante : comment accepter de ne plus être la préférée de son ancien partenaire ? Même si c’est elle qui a initié le divorce, on s’aperçoit que ce n’est pas évident..

Et quand le mari part avec une femme beaucoup plus jeune, c’est encore plus difficile. Comme si la première femme était ramenée à son âge, au fait qu’elle n’aura plus d’enfant. Tout cela date d’un temps où le seul rôle des femmes était la maternité, où c’était la seule chose qui pouvait les valoriser. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, nous avons, nous les femmes, plein d’autres options pour nous réaliser. Mais cela reste quelque chose de très archaïque. Et de douloureux.”

Anne de Montarlot : “On retrouve là la théorie du Harem, qui est l’une des sources de la rivalité féminine. L’homme a toujours eu le pouvoir. Comment alors une femme pouvait-elle alors tirer son épingle du jeu ? Pour conserver sa singularité et la part de pouvoir qui allait avec, elle était obligée de devenir et de rester la favorite. Elle devait donc évincer toutes les autres femmes, qui étaient donc toutes ses concurrentes, pour rester la seule et l’unique… Un fonctionnement qui a émaillé toute l’histoire !”

A lire pour comprendre les sources de la rivalité féminine

Explication historique, biologique, psychologique ou encore sociologique, Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot décortiquent dans “En finir avec la rivalité féminine” les ressorts de ces comportements féminins qui sont encore l’objet d’un grand déni. Rivalités familiales délétères, guerres de pouvoir au travail, amitiés houleuses et clash en série sur les réseaux sociaux… Les relations entre femmes sont analysées pour mieux comprendre d’où nous tenons ces réactions et surtout pour apprendre comment faire autrement. Un essai passionnant !

En finir avec la rivalité féminine, de Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot, Les Arènes.

Les Nichées : Comment alors construire des relations saines, notamment en famille, loin de ces schémas qui semblent bien ancrés dans l’inconscient collectif ?

Elisabeth Cadoche : “Si l’on a appris tout ça, on peut le désapprendre ! Regardez ce qui se passe dans le monde professionnel : on voit de plus en plus de réseaux d’entraide, de plus en plus de partage d’expérience. Pourtant, le domaine professionnel a longtemps été gangréné par cette rivalité féminine : les femmes étaient peu nombreuses dans des postes importants, peu nombreuses à avoir le pouvoir donc elles s’y accrochaient et ne voulaient pas le partager. Aujourd’hui, les choses ont changé, on avance vers plus de sororité. Et cela commence par réaliser tous les réflexes que l’on a intériorisés vis-à-vis des autres femmes qui nous entourent ».

Anne de Montarlot : “A la maison, c’est la même chose. Demandons-nous ce que nous voulons au fond de nous. Camper sur ce bon vieux réflexe de rivalité ou essayer d’aller vers plus de sororité ? Ne jamais aider une autre femme, car elle pourrait s’avérer une rivale, toujours lui mettre des batons dans les roues ? Se juger les unes les autres dès que l’on arrive dans une soirée ? Se comparer en permanence avec les autres femmes, notamment via les réseaux sociaux ? Nous, nous sommes persuadées qu’il n’y a pas de déterminisme !

Mais ce n’est pas facile, il faut accepter tous les biais que l’on a emmagasinés. Tous les stéréotypes misogynes que l’on nous a transmis et tout ce que l’on projette à notre tour. Le plus choquant pour moi, c’est que beaucoup de femmes ressentent même de la haine vis-à-vis d’elles-mêmes et la projettent sur d’autres femmes. Rien que ça, c’est dur à accepter et c’est encore plus dur de ne pas se juger. Pourtant, c’est notre objectif  avec ce livre : que les femmes arrêtent de se culpabiliser !

Je dirais que cela passe par la nécessité de faire le point sur le pouvoir de séduction. Sur quoi repose-t-il aujourd’hui ? Essentiellement sur des critères masculins : le physique, la jeunesse… Ce n’est pas anodin car cela rentre en jeu directement dans notre ressenti quand on rencontre une autre femme dans un contexte que l’on juge potentiellement menaçant : une nouvelle recrue au travail, une nouvelle femme qui entre dans la famille… Pourquoi essayer de plaire à tout prix pour essayer de se rassurer ?” 

Elisabeth Cadoche : “Tant que l’on répétera aux filles qu’elles sont jolies et aux garçons qu’ils sont forts, on continuera de perpétuer ce biais et d’encourager la rivalité féminine sur le terrain du physique. Dans notre livre précédent, sur le syndrome de l’imposture, nous avons voulu montrer que la confiance en soi est la clé. Pourquoi les femmes en manquent-elles autant ? Parce qu’après des siècles de domination masculine, les injonctions à la perfection martelées par la société et relayées par la famille sont devenues le terreau fertile de toutes les croyances limitantes. Et par ricochet, de toutes les rivalités. L’écrivaine, productrice et animatrice de podcast américaine Emily V.  Gordon l’a parfaitement résumé en déclarant : “Nous ne sommes pas en compétition avec d’autres femmes mais avec nous-même ». Nous projetons nos propres failles sur les autres.” 

Le comportement passif-agressif comme arme suprême

Les hommes sont habitués à s’affronter. Ils sont même encouragés à le faire dès tout petits, à travers l’idée d’une saine combativité. Leur devise pourrait être : “une place pour deux ? Que le meilleur gagne !”.

Les femmes, elles, n’osent pas le conflit car on les a muselées. Elles n’ont pas appris à exprimer leur colère, qui est une émotion saine, car on leur a toujours inculqué que leur devoir était de rester douces. Pourtant, la vie les exposera tôt ou tard à des situations de rivalité qu’elles n’ont pas appris à transformer en un conflit ouvert et sain. Elles vont plutôt avoir tendance à contourner le problème en adoptant des comportements passif-agressifs. En particulier, en faisant de l’ostracisme (elles vont rejeter la femme du groupe, l’isoler, la mettre au pilori) ou en parlant “par derrière” pour créer des mécanismes de coalition et de rejet.

Les Nichées : La confiance en soi serait donc la clé pour évoluer vers moins de rivalité dans la vie en général, et en famille recomposée en particulier ?

Elisabeth Cadoche : “Le manque de confiance en soi est fondamentalement favorable à la rivalité. Comment voulez-vous trouver votre place dans une nouvelle histoire, si vous-même au préalable, vous n’avez pas réglé et affronté tous les manques de votre propre histoire ?” 

Anne de Montarlot :  “Quand on a peur, il faut se rassurer ou être rassuré. Comment ? Une bonne communication de couple, bien sûr ! Mais aussi être au clair sur nos valeurs et sur ce que nous voulons pour notre vie. Et ne pas avoir peur de ses vulnérabilités. Tout cela aide à prendre de la hauteur face à des rivalités potentielles. Cela implique de se connaître a minima et de pouvoir en parler dans un contexte assez secure. De savoir qui on est, quelles sont nos forces, de retirer les masques, pour être authentique autant dans nos forces que nos faiblesses.

Car quand on se connaît et que l’on se sent en confiance, on appréhende les choses ensuite de manière moins anguleuse, moins radicale. Si l’on a peur, si l’on se juge, si l’on est mal à l’aise avec nos failles, nous allons tout de suite sortir nos défenses dans toutes nos relations. Que ce soit avec notre belle-fille, l’ex-femme de notre mari, la belle-mère de nos enfants, ou même notre conjoint… On ne va pas voir en l’autre un être humain avec ses propres failles et forces : on verra toujours une menace. Ce qui est impossible à vivre ! Sauf que pour ressentir de la compassion pour l’autre, quel qu’il soit, il faut déjà ressentir un peu de compassion vis-à-vis de soi…”

Journaliste depuis plus de 20 ans, ancienne rédactrice en chef de Psychologies.com, je m'intéresse depuis toujours aux questions familiales et la psycho au sens large. Je suis moi-même mère et belle-mère et partage ici les meilleurs conseils d'experts pour vivre le plus sereinement possible le quotidien de parent séparé, que vous viviez en famille monoparentale ou recomposée.