Famille recomposée : je ne me sens pas chez moi
“Quand les enfants sont là, je ne me sens plus chez moi à la maison…” Quel parent ou beau-parent en famille recomposée n’a jamais connu ce sentiment d’être transparent, voire de trop sous son propre toit ? Un ressenti douloureux, qui peut s’expliquer par des vécus assez différents, nous explique la psychologue Emmanuelle Drouet. Elle nous invite à explorer ce malaise et nous propose des solutions adaptées à chaque cas, pour reprendre ses marques chez soi.
Pourquoi je ne me sens plus chez moi avec ma famille recomposée ?
Comment savoir ce qui se cache derrière ce sentiment très désagréable de ne plus se sentir chez soi, chez soi ? Posez-vous deux minutes dans un endroit calme pour faire le point sur ce qui vous gêne le plus à la maison :
- Avez-vous l’impression de ne plus être vraiment chez vous parce que, quand les enfants arrivent (les siens, les vôtres, les deux…) vous vous sentez envahi.e ? La maison est un espace particulier, un lieu très intime, vous pouvez avoir le sentiment que les enfants viennent empiéter d’un coup sur votre territoire. Vous sentez-vous oppressé.e parce que tout d’un coup, vous manquez d’espace vital ?
- Avez-vous l’impression qu’avec la présence des enfants, vous ne pouvez plus vivre comme vous le souhaitez ? Vos habitudes ne sont pas respectées, vos règles ne sont pas suivies ? Notamment face aux enfants de l’autre, et à des principes éducatifs qui ne sont pas les nôtres, on peut avoir l’impression de ne pas être considéré.e, respecté.e ? Que l’on ne prend pas en compte ce qui est important pour nous…
- Parfois, quand les enfants débarquent – les siens, les nôtres, tous à la fois ! – on peut se sentir disparaître d’un coup parce qu’ils vont prendre toute la place. Avez-vous l’impression qu’ils monopolisent d’un coup toute l’attention, tout le temps disponible ? Ne laissant aucun temps, aucun moment pour vous et pour votre couple ? Il est alors facile de se sentir transparent, invisible… inexistant.e !
Que vous vous reconnaissiez dans le cas 1, 2, 3 ou les 3 à la fois, la psychologue Emmanuelle Drouet, qui est elle-même mère et belle-mère et se penche régulièrement sur les situations des familles recomposées, va vous aider à comprendre les mécanismes et les émotions à l’œuvre à chaque fois. L’objectif : trouver des solutions pour rétablir des conditions de vie à la maison qui conviennent à tous, vous compris !
Je ne me sens plus chez moi dans ma maison parce que je me sens envahi.e par les enfants
L’analyse d’Emmanuelle Drouet : “La maison ne peut se résumer à une histoire de nombre de pièces ou de mètres carrés. C’est avant tout un espace psycho-affectif, un “contenant psychique”. Or cette enveloppe protectrice qu’est notre maison peut voler en éclats quand une ou des personnes que l’on n’a pas toujours choisies, débarquent et s’installent chez soi. On peut le vivre comme une forme d’effraction et se sentir dépossédé.e de son territoire, parce que les enfants vont venir se l’approprier.
Le problème, c’est justement que des enfants qui ne sont là qu’une semaine ou un week-end sur deux ont VRAIMENT besoin de se réapproprier cet espace quand ils arrivent. C’est encore plus vrai chez les adolescents : on sait qu’il est important pour eux, à cet âge-là, de marquer leur territoire. Ils laissent traîner leurs affaires partout, ne rangent pas… Pour les adultes comme pour les ados, c’est un peu une guerre de territoires : nous avons tous besoin de nous sentir chez nous.
Mais pour un parent, ou à plus forte raison encore un beau-parent, cela peut donner l’impression de “loger chez soi” une semaine sur deux, plutôt que d’habiter à proprement parler chez soi. C’est un ressenti assez fréquent et rarement agréable.
C’est d’autant plus vrai que les familles recomposées sont souvent nombreuses et que l’on n’a pas toujours de grandes maisons pour accueillir tout le monde. Quand les enfants arrivent, ils n’ont pas forcément de chambres à eux, parfois les parents déménagent dans le salon un week-end sur deux… Et puis il faut comprendre que les enfants qui vivent en résidence alternée, surtout s’ils sont petits, ne vont pas forcément investir leur chambre. Déjà parce qu’ils ne sont là qu’une semaine sur deux, mais aussi parce qu’ils vont avoir tendance au contraire à surinvestir le lieu où il y a le parent, pour profiter de lui et ne pas se sentir trop loin. Ils vont parfois le suivre à la trace, envahir le salon, la chambre…
Mais cela n’empêche pas de trouver des solutions pour que vous vous sentiez mieux chez vous, même quand ils sont là. Il peut y avoir des limites à poser, sur les temps en commun, les espaces privés… Cela implique souvent de parler de la difficulté à trouver sa place. Car si l’on se sent envahi dans sa maison, ça peut vouloir dire aussi qu’on se sent envahi dans sa famille recomposée…
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Emmanuelle DROUET (@peripepsy sur instagram) est psychologue clinicienne depuis 20 ans. Maman et belle-mère, elle vit à Vincennes en famille recomposée.
En parallèle, elle écrit des romans dont le dernier, L’écho des souffrances silencieuses vient de paraître aux éditions Jouvence.
Alors que faire ?
Conseil numéro 1 – Exprimer son besoin d’espace et de temps personnels
Il est toujours important de communiquer avec les enfants et son ou sa partenaire sur votre besoin d’avoir un ou des espaces personnels. Attention toutefois à comment vous en parler.
Mon conseil ? Communiquez ouvertement mais de manière positive. Ne vous contentez pas seulement de directives comme : “ne viens pas ici”, “ne nous dérange pas maintenant, ce n’est pas le moment”, etc… Exprimer ses besoins, c’est s’affirmer de façon positive et non-violente ce qui est essentiel pour nous et pouvoir dire par exemple à un ado : “là, j’ai vraiment besoin d’être seul.e dans cette pièce-là. Quand tu viens à ce moment-là, je me sens envahi.e et cela me crée du stress. Et quand je suis stressé.e, je finis par être agressive, ça ne va pas forcément bien se passer. Donc le mieux, quand je suis dans la chambre en train de lire, c’est que vous me laissiez.” Ou encore à son conjoint : “le soir, quand on a couché les plus petits, j’ai besoin d’un temps tous les deux, pour regarder un film, par exemple. Je n’ai pas envie que les enfants viennent empiéter sur ce moment-là.”
C’est important d’inclure les enfants dans la discussion parce qu’ainsi, on peut leur demander les espaces dans lesquels, eux, n’ont pas envie qu’on intervienne. En général, les enfants vont plus facilement respecter nos espaces s’ils savent qu’on va respecter les leurs.
Conseil numéro 2- Instaurer des règles claires
Il arrive que les règles qui nous semblent évidentes ne soient pas bien définies. La solution : établir un règlement, un mode d’emploi, coller des posts-its partout… Bref, les rappeler, y compris visuellement pour qu’elles restent à l’esprit de tous les membres de la famille. Ranger les affaires qui trainent dans la cuisine, frapper avant d’entrer dans la chambre, ne pas envahir le salon avec ses jouets… Il est toujours utile de rafraîchir la mémoire de tous.
Et autre petit conseil : essayez de respecter (pour les enfants, mais vous aussi en tant qu’adulte) les différentes fonctions des espaces de la maison. La cuisine pour manger (et pas faire les devoirs), le salon pour se reposer sur le canapé ou devant la télé (et pas pour hurler en jouant à la Playstation). Ce n’est pas toujours évident quand on manque de place mais on s’aperçoit que nous aussi, en tant qu’adultes, on brouille parfois un peu les pistes.
Conseil numéro 3 – Se mettre à hauteur d’enfant
L’idée ici est de se mettre un peu à leur place pour comprendre que, pour eux aussi, ca peut être difficile d’investir la maison et essayer d’être empathique… Oui, ils peuvent être tentés de coller un peu leur parent pendant qu’ils sont là ! Cela vous agace parce que votre partenaire est sans cesse accaparé.e par son ou ses enfants ? Vous vous sentez rejeté.e ? En trop, face à ces petits qui prennent toute la place ?
Essayez, par exemple, de vous rappeler, au début de votre relation, quand vous n’habitiez pas encore ensemble et que vous passiez un peu de temps chez elle ou lui… Vous souvenez-vous de ce que vous ressentiez alors, dans cet environnement qui n’était pas vraiment le vôtre ? Où vous n’alliez que de temps en temps ? Ce n’est pas facile d’investir des lieux quand on n’y a pas nos repères, toutes nos affaires, nos habitudes. Cela vous aidera à vous mettre un peu à la place de ces enfants, qui ont parfois juste leur petit baluchon pour le week-end. Et de comprendre pourquoi c’est compliqué pour eux.
Conseil numéro 4 – Se questionner sur l’espace des enfants dans la maison
Les enfants ont-ils un espace bien à eux ? Est-il suffisamment important ? Si oui, pourquoi ne l’investissent-ils pas ? Comment faire pour qu’ils s’y sentent bien ?
Ce n’est pas toujours évident quand les enfants doivent partager leur chambre, mais un petit coin à eux peut parfois tout changer ! Un petit espace avec plein de coussins, un petit tipi dans leur chambre… Un endroit pour chacun, pas forcément très grand, mais qui soit son espace et où personne ne vienne l’embêter. Mon conseil est de leur offrir à chacun cette petite bulle, peut-être en mettant un peu de déco à leur goût, pour faire en sorte qu’ils se sentent bien et aient envie d’investir cet endroit.
S’ils sont petits, ou s’ils ont du mal à y aller seuls, on peut aussi y jouer un peu avec eux, le temps qu’ils arrivent à se l’approprier. Parce que plus ils investiront cet espace “à eux”, plus ils vous laisseront un peu d’espace à vous ailleurs.”
Je ne me sens plus chez moi car je ne peux plus vivre selon mes règles et mes principes quand les enfants sont là
L’analyse d’Emmanuelle Drouet : “Très souvent, quand les enfants ou beaux-enfants arrivent à la maison, on peut vite avoir l’impression de perdre le contrôle sur un fonctionnement stable, habituel, équilibré. Or en psychologie, la perte de contrôle est un facteur de stress, quelle que soit la situation. Dans le cas du retour des enfants, c’est d’autant plus un stress, que bien souvent, on passe les premiers jours à faire des rappels à l’ordre sur les règles qui ont cours sous notre toit (d’autant plus si les règles sont très différentes dans l’autre maison).
Comme on perd le contrôle sur le fonctionnement que l’on a habituellement quand on est seul avec son conjoint ou seul avec notre conjoint et l’enfant qu’on a eu ensemble, la maison comme “contenant psychique” vole en éclats. Et cela peut être vraiment très compliqué à vivre. On peut se sentir dépossédé.e de son autorité, dépossédé.e de ses principes et surtout, on peut vivre un conflit de valeurs très inconfortable.
Que faire alors ?
Conseil numéro 1 : clarifier avec son partenaire les principes qui sont importants pour nous, les valeurs non négociables, pour veiller ensemble à ce qu’elles soient respectées. Ce qui implique que notre partenaire nous soutienne quand elles ne sont pas respectées. Cela peut paraître évident, mais cela peut parfois s’avérer très compliqué face aux enfants.
Conseil numéro 2 : expliquer nos besoins à toute la famille, dans un moment propice à la communication. Par exemple, “quand je vous demande d’enlever vos vêtements sales de la salle de bains après votre douche, c’est parce que c’est important pour moi. C’est un signe de respect, et le respect c’est très important quand on vit en communauté. Donc si vous ne le respectez pas, ce n’est pas que je veux être méchante avec vous, c’est juste que ce sera très compliqué à vivre pour moi. Donc je vous demande de le faire pour moi.”
Et si c’est trop difficile pour eux, mieux vaut essayer d’assouplir notre rigidité par rapport à certains principes de manière à pouvoir trouver avec les enfants des compromis acceptables pour tout le monde.
Dernier conseil : ne pas hésiter à vous accorder une activité personnelle, seule, pour gérer le stress et décharger les tensions accumulées, indépendamment de la famille recomposée. Aller courir, suivre un cours de théâtre, boire un verre avec ses ami.e.s, permet de réguler le stress légitime que vous pouvez subir. La vie en famille recomposée n’implique pas nécessairement de passer tout son temps avec son partenaire et ses enfants. Autorisez-vous le temps de souffler !”
Je ne me sens plus chez moi car j’ai l’impression d’être transparent.e quand ses enfants sont là
L’analyse d’Emmanuelle Drouet : “Des enfants qui débarquent d’un coup, surtout s’ils sont plusieurs, cela peut prendre beaucoup d’espace, faire beaucoup de bruit… et monopoliser l’attention du parent qui ne les a pas vus depuis longtemps. Et même si c’est normal, cela peut faire des dégâts dans les familles recomposées, surtout quand, dès que les beaux-enfants arrivent, notre partenaire nous délaisse d’un coup – nous l’amoureux/se et parfois même l’enfant que l’on a ensemble – pour s’occuper de ses enfants.
Cela arrive à de très nombreuses belles-mères car les papas qui ont leurs enfants qu’un week-end sur deux, ont souvent peur de perdre complètement leur garde ou peur que leurs enfants n’aient plus du tout envie de venir les voir. Ils vont donc se focaliser sur eux, les gâter, faire le maximum pour leur plaire. Et au milieu de tout ça, la belle-mère peut se sentir complètement négligée, au point d’expérimenter un sentiment de solitude voire de rejet dans la famille très violent.
C’est fréquent également dans le cas des papas, car certains ont toujours au fond d’eux une forme de conflit de loyauté par rapport à leur ancienne famille : à leurs enfants, leur ex, la famille qu’ils formaient alors. Ils peuvent considérer que leurs enfants ont déjà une maman et qu’ils n’ont pas besoin d’en avoir une autre, et vont, dans ces moments de retrouvailles, avoir tendance à ne pas forcément accorder beaucoup de place à la belle-mère, à ses besoins et aux règles auxquelles elle tient … Celle-ci va alors avoir l’impression de perdre toute sa légitimité et sa place dans la famille.
Quelle stratégie mettre alors en place pour ne pas se sentir évincée, éjectée, transparente ?
Conseil numéro 1 : L’idéal serait de pouvoir mettre les désirs de la belle-mère au même niveau que ceux de l’enfant. Je ne parle pas de désirs “capricieux” mais de faire comprendre au papa, même s’il ne voit pas beaucoup ses enfants, qu’il ne peut pas se consacrer à 200% aux desiderata de ses enfants, en mettant ceux de la belle-mère entre parenthèse, sous prétexte qu’elle, il la voit tous les jours !
La communication dans le couple sur les besoins de chacun est essentielle. Vous souffrez de ne plus exister à ses yeux dans ces moments-là ? Expliquez-lui le besoin de ne pas être inexistante jusqu’au départ des enfants. Et ce qui est important pour vous dans les moments de cohabitation.
Conseil numéro 2 : Remettre votre couple au cœur de la famille recomposée, et donc au cœur de ces moments avec les enfants. Continuer à avoir des temps ou des interactions à deux pour continuer à se sentir chez soi et non pas comme un.e invité.e chez ses beaux-enfants. Cela peut être un café pris en 5 minutes en tête à tête, une série regardée à deux un soir… Tout pour ne pas avoir l’impression que le couple disparaît ou n’existe plus en présence des enfants.
Conseil numéro 3 : si la situation devient trop difficile pour vous, pourquoi ne pas en profiter, certains jours, pour partir entre copines ou passer une journée avec votre enfant en commun ? Lui aussi peut se sentir délaissé quand ses demi-frères et sœurs sont à la maison. L’idée est de transformer ces temps de garde chez vous de manière positive pour ne plus avoir l’impression de subir la présence des enfants.
C’est important car ce sentiment de subir peut vite aboutir sur l’impression d’être une victime de la famille recomposée. Mettre en place des activités ou des petits plaisirs pour soi permet d’éviter de se victimiser. Car se positionner en tant que victime non seulement ne règle pas le problème, mais peut même l’enkyster car généralement, cela agace fortement le conjoint.
Bien sûr, il ne s’agit pas de fuir chaque week-end ou de refuser systématiquement de se confronter à ce qui est difficile. Mais il n’y a pas d’obligation non plus à subir tout le temps quand ça devient trop pénible. Positivez ! A la place de “Oh non, je veux absolument éviter ce moment”, vous pouvez vous demander “comment je peux transformer ce week-end pour en faire quelque chose d’agréable et de bénéfique pour moi ?””
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