“Une famille recomposée ne peut pas se construire sereinement si les adultes se comportent comme des adolescents”
Des années qu’il reçoit dans son cabinet des familles recomposées en recherche d’équilibre : des enfants en pleine opposition, des beaux-parents perdus, des parents à cran… Des années qu’il les écoute pour leur raconter autrement leur histoire, leurs problèmes… pour mieux trouver, ensemble, des solutions à ce qui coince. Pour Les Nichées, le Dr Serge Mori revient sur la méthode qu’il décrit dans son nouvel ouvrage “Famille recomposée, à chacun son histoire« , et sur les principaux écueils que rencontrent les recomposants. Interview.
Les Nichées : Quelle est, d’après ce que vous voyez en consultation, la plus grande difficulté que rencontrent les familles recomposées ?
Serge Mori : Je dirais que la principale difficulté concerne des mères, des pères, séparés ou non, qui vont tomber amoureux d’une nouvelle personne… mais qui, dans les deux cas, vont aller beaucoup trop vite. Pourquoi ? Parce qu’ils sont en pleine idéalisation du nouveau couple, ils vont souhaiter embarquer leurs enfants dans leur bonheur… Des enfants qui vont, par conséquent, se retrouver confrontés très vite au nouveau couple. Et certainement beaucoup trop tôt, surtout s’ils ont vécu la séparation de leurs parents il y a peu. Cette volonté de “mélanger” couple amoureux et famille idéale leur fait brûler les étapes. C’est vrai pour leur couple, mais ça l’est surtout pour les enfants dont le temps psychique est complètement différent de celui des adultes. Surtout d’adultes amoureux.
Est-ce que cette tendance concerne davantage les hommes ou les femmes ?
Cela peut concerner les deux, mais il est vrai que j’ai plus souvent rencontré des femmes qui ont eu la présence d’esprit de vouloir prendre leur temps. Certaines sont même venues me consulter, j’en parle dans mon livre, en me demandant : “avant d’aller plus loin, pouvez-vous recevoir mon compagnon pour lui expliquer pourquoi je veux prendre mon temps avant de lui présenter mon enfant ?” Ce besoin de temps n’est pas toujours compris par l’amoureux, en face, qui peut se montrer impatient de passer à l’étape suivante.
Ce n’est pas anecdotique car bien sûr, quand on a quelqu’un dans la peau, on veut aller vite. Mais la famille recomposée ne peut pas se construire sereinement si les adultes se comportent comme des adolescents !
A lire
Famille recomposée, à chacun son histoire, du Dr Serge Mori, préfacé par le Dr Marcel Rufo, First éditions
A commander ici
D’autres difficultés se font-elles jour après ces premiers temps ? Notamment lorsque la famille recomposée s’installe et devient concrète pour tout le monde ?
Effectivement, la seconde difficulté émerge souvent rapidement après la présentation de l’enfant avec le futur beau-parent et ses enfants éventuels. Il peut y alors avoir des problèmes relationnels entre les fratries recomposées, de la jalousie entre les enfants, des problèmes en rapport avec l’argent…
Mais je dirais que ce qui met vraiment en difficulté les familles recomposées, c’est le comportement des enfants eux-mêmes. Celui-ci peut déjà être très impacté par la séparation, mais il peut l’être encore davantage quand son autre parent entre en scène, et lui demande plus ou moins ouvertement d’adopter une certaine attitude vis-à-vis de son beau-parent. Même quand on ne s’en rend pas compte, même sans qu’il le veuille réellement, le rôle de l’ex dans la famille recomposée est central. Il peut très facilement influer sur l’enfant et sur les liens que celui-ci va s’autoriser à créer – ou pas – avec son beau-parent.
L’idée n’est pas de les accuser systématiquement les ex de mal faire ou de vouloir nuire. Que les choses soient claires : être quitté, voir son couple et sa famille exploser, c’est dur ! Qui dit séparation, dit forcément souffrance. Je n’ai jamais rencontré un couple qui se sépare dans la joie et la bonne humeur. Le problème, c’est qu’on a souvent tendance à minimiser cette souffrance. Pourtant elle existe et elle va peser sur la vie de la nouvelle famille.
Les ex n’ont pas forcément conscience de la portée de leurs actions ou de ce qu’ils disent à leurs enfants… Et de l’impact très fort que cela peut avoir sur eux. Mais une chose est sûre : les enfants de parents séparés sont très sensibles au conflit de loyauté et vont avoir tendance à prendre parti, sans qu’on le leur demande toujours… notamment à l’adolescence où ils peuvent prendre des positions parfois très, très radicales.
“C’est ta fille ou moi !” Les effets du chantage en famille recomposée
Le Dr Mori est catégorique : “Cet ultimatum qui consiste à un parent de choisir entre son partenaire et son enfant, c’est le point culminant de la bêtise qui peut se jouer entre adultes. Et il ne faut pas croire que les paroles ne restent pas. Certains faux-pas sont tout simplement irrattrapables car ils créent des situations anxiogènes irréversibles. Les crispations se cristallisent, on se retrouve avec des “relations bras de fer” où personne ne veut lâcher le morceau. Comment éviter d’en arriver là ? En évitant de se mettre au même niveau que l’enfant. En évitant les histoires qui ne sont pas seulement stériles mais qui engendrent des reproches, des tensions et du cortisol, l’hormone du stress. L’objectif : éviter coûte que coûte d’arriver au point où plus personne n’a envie de faire machine arrière.
Vous expliquez dans votre livre la singularité de l’approche que vous pratiquez auprès des familles recomposées : la thérapie narrative. En quoi consiste-t-elle ?
La thérapie narrative repose sur trois piliers. Le premier point consiste à externaliser les problèmes. Quand les personnes viennent au cabinet, je commence par leur faire comprendre qu’aucune d’entre elles n’est un problème en tant que tel. Mais que le problème est extérieur à eux : ce n’est ni papa, ni maman, ni le fils… Le problème, c’est leur relation. A partir de là, on va travailler ensemble à identifier ce problème de relation pour ensuite essayer de composer.
Le deuxième point, c’est l’importance de la collaboration : il s’agit de faire appel à l’intelligence collective pour résoudre ou dissoudre le problème ensemble, plutôt que trouver un responsable ou un coupable. Le troisième point consiste à attribuer du sens. Comment ? On va questionner le sens et la fonction, recourir à des mots qui vont donner la possibilité de vivre différemment les choses. L’objectif ? Aider la famille recomposée à élaborer des alternatives vers un futur positif et réaliste. Comment ? En utilisant les conversations thérapeutiques, au cabinet, pour convertir les tensions et les crispations de la famille recomposée en action plutôt que ruminations et reproches.
A lire aussi sur Les Nichées