Famille recomposée : pourquoi les belles-mères souffrent plus que les beaux-pères
LE DEBAT – La place de beau-parent serait-elle plus difficile à prendre pour les unes que pour les autres ? Pourquoi cette impression qu’on en demande plus aux belles-mères qu’aux beaux-pères ? On a posé la question à plusieurs beaux-parents. Et vous, vous en pensez quoi ?
Le beau-père est-il une belle-mère comme les autres ? Drôle de question et pourtant… Depuis quelque temps maintenant, la parole se libère et les belles-mères osent partager leurs difficultés, le fait qu’on attend beaucoup d’elles par rapport à leurs beaux-enfants, qu’elles sont beaucoup jugées alors qu’en même temps, elles sont en permanence l’objet d’injonctions contradictoires. Et les beaux-pères dans tout ça ?
Mais pourquoi tant de pression sur les belles-mères ?
François, beau-père et créateur du compte Tuteur Illégal, a beaucoup réfléchi à cette question quand il s’est lancé sur Instagram : “Je suis arrivé comme une fleur avec mon compte qui expliquait que tout se passe bien pour moi. Et très vite, je me suis aperçue que j’arrivais dans un monde de mal-être : des belles-mères qui souffrent, très peu de qui sont épanouies, mais aussi très peu de beaux-pères qui prennent la parole. Je me suis posé beaucoup de questions alors : pourquoi tant de souffrance ? Est-ce parce que les hommes ne s’expriment pas et les femmes beaucoup ? Ma seule explication, c’est que les belles-mères sont confrontées à des difficultés qu’on ne connaît pas en tant que beau-père. Dans le schéma sociétal, quand tu es belle-mère, que tu le veuilles ou non, tu te retrouves avec plus de responsabilités et d’attentes sur les épaules qu’un beau-père. Déjà parce que qui dit femme, dit “instinct maternel”…”
Et oui, les femmes sont attendues au tournant avec cette histoire d’instinct, concept fort débattu par ailleurs. Mais aussi et surtout parce qu’on attend d’elles qu’elles prennent naturellement soin des autres, en général, et des enfants en particulier.
Sarah, de LaDouceurdesHérissons le relevait d’ailleurs dans un post il y a quelques jours : “Les femmes sont souvent élevées avec l’idée de s’occuper des autres, ce qui peut créer une pression supplémentaire pour réussir dans des rôles de soin complexe comme celui de belle-mère… et puis ça amène la frustration du manque de reconnaissance”.
Le piège de la normalité… et de la non-reconnaissance
Parce que c’est ce qui est attendu des filles, parce que certains pères s’imaginent qu’une femme, quel que soit son âge ou son rapport à la maternité, va naturellement s’occuper de ses enfants à lui, nombre de belles-mères se retrouvent “piégées”. D’un côté, elles se sentent obligées de remplir un rôle de soin, voire un rôle maternel, qu’elles n’ont pas toujours envie d’endosser et dans lequel elles peuvent se sentir mal à l’aise. Et d’un autre – double peine ! – tout le monde va trouver ça “normal” ! Si bien qu’elles peuvent attendre un mot de remerciement, l’expression d’une gratitude ou la manifestation d’une reconnaissance pour ce qu’elles font… en vain !
Cette “normalité” fait que bien souvent, leurs besoins à elles sont niés mais qu’en même temps, elles se plient en quatre pour répondre à ceux de tous les autres membres de la famille recomposée.
“Ca me surprend toujours quand on me dit “Tu amènes tes beaux-enfants aux activités ? Tu leur achètes des fringues ??? Waouh, c’est top tout ce que tu fais pour eux”, raconte ainsi François.” Mais sérieusement, est-ce qu’on va me donner une médaille parce que je passe l’aspirateur ? En revanche, si c’est une belle-mère qui fait tout ça pour ses beaux-enfants, on va lui dire : “Ben oui, c’est normal, t’as voulu être belle-mère !”. Normal, vraiment ? Le pire ? C’est que si elle fait une bêtise, on va lui tomber directement dessus ! C’est pour ça que les belles-mères ont une pression énorme. Notamment des mamans, qui peuvent attendre beaucoup d’elles.”
Des attentes d’investissement XXL
Pour Manon, belle-mère et créatrice du compte @demiefamille, les dés sont pipés également par le fait que même après une séparation, les mères continuent à gérer, là où les pères ont plus souvent tendance à passer le relai. “Je pense qu’indirectement, on attend d’une belle-mère qu’elle remplisse le rôle d’une mère. Qu’elle aime les enfants, qu’elle ait un comportement maternel avec eux. Je crois qu’il y a moins d’attentes derrière les beau-pères car d’office, la mère gère, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas des papas. On attendra d’un beau-père qu’il soit gentil, qu’il s’amuse avec les enfants, mais pas forcément qu’il fasse tourner les lessives ou qu’il gère les rendez-vous médicaux, ce que font beaucoup de belles-mères !”
Un déséquilibre de charge mentale et d’investissement qui agace beaucoup François : “Un papa aura naturellement plus tendance à s’en remettre à sa chérie pour s’occuper des enfants, qu’une femme à son amoureux. Mais pourquoi ce serait plus normal ? Pourquoi ce serait ok qu’un père puisse se décharger de toutes ses tâches sur sa chérie quand elle arrive dans sa vie ? Pourquoi ce serait plus normal qu’il lui transfère toute la charge mentale qui va avec les enfants ? Pourquoi ce serait aux femmes de se coltiner les trajets en voiture ? Et pendant ce temps, les beaux-pères pourraient se contenter de faire les coloriages et avoir la belle vie ? Moi je ne le voudrais pas ! ”
Le poids du jugement
Double peine encore : en plus de se retrouver à prendre en charge par défaut le quotidien des enfants, elles sont souvent jugées sur comment elles le font. François l’entend régulièrement quand il discute avec des belles-mères : “Mon ressenti, c’est qu’une belle-mère a tout de suite tous les regards et les projecteurs braqués sur elle. Elle va être observée en permanence sur sa façon d’être avec les enfants, sur sa façon d’éduquer, de s’en occuper. “
Certaines belles-mères vivent dans la peur du faux-pas, du moindre mot ou geste qui pourra leur être reproché par l’ex qui, en fonction des relations plus ou moins conflictuelles avec le papa, pourra planer en permanence comme une ombre menaçante sur son rôle de belle-mère et sur la vie de la famille recomposée en général.
Manon le résume très bien : “Il y a certainement moins de rivalité entre les hommes qu’entre les femmes. Ainsi les ex-maris sont peut-être moins durs que les ex-femmes… Mais c’est peut-être subjectif !”
Subjectif, vraiment ? Pour Sarah, pas de doute, la rivalité entre les femmes – et donc très vite entre la mère et la belle-mère – est une réalité : “La société met en compétition les femmes de manière plus explicite (…) et les conditionne à percevoir d’autres femmes comme des rivales potentielles… (…) Cette compétition est moins accentuée chez les hommes, ce qui peut expliquer une dynamique de concurrence moins intense dans le rôle du beau-père (…) Le beau-père peut avoir moins peur du père, de cette place, il peut se poser moins de questions et se sentir au contraire être à la bonne place en s’impliquant auprès des enfants… Alors que pour les femmes, il y a la notion de voleuse de place.. la voleuse d’homme, celle qui prend la place de la mère.”
Résultat ? Là où les belles-mères sont en permanence jugées – finissant par avoir l’impression de ne jamais bien faire ou de ne jamais faire assez – les beaux-pères ont plus facilement la sensation de “réussir” leur famille recomposée, dès lors qu’un lien s’est créé avec les beaux-enfants, dès qu’ils s’impliquent un minimum dans leur vie et leur quotidien.
Une différence d’appréciation qui, on le voit bien, explique pourquoi la famille recomposée peut “broyer” la confiance en elles des belles-mères là elle peut davantage apporter une aura supplémentaire au beau-père investi.
Comment rétablir plus de justice entre les beaux-pères et les belles-mères ?
Pour François, qui rappelle souvent, avec Tuteur Illégal, les kiffs de son rôle de beau-père, cette différence de regard et de traitement est simplement inacceptable : “Ce déséquilibre, cette injustice, je ne l’explique que par un héritage de la société. On attend trop des belles-mères ! Elles ne peuvent pas savourer une situation comme moi je savoure mon rôle de beau-père. Pourquoi devraient subir toutes ces frustrations ? Pourquoi devraient-elles récupérer toutes ces tâches qui devraient incomber au papa aussi ?”
La solution passe forcément par un changement de mentalité, une évolution des attentes, une prise de conscience globale. Pour Manon de DemieFamille, il n’existe pas 36 solutions : “Je n’aime pas rejeter la faute sur la société, pourtant à ce sujet, je crois qu’il n’y a que les mœurs que l’on doit changer ! Je pense qu’en libérant la parole, en parlant plus du rôle des beaux-parents, en dédiabolisant la famille recomposée, on arrivera à plus de sérénité, plus d’entente, plus de familles unies. Parler, raconter nos histoires, accompagner les familles dans leur reconstruction. Et expliquer aux papas, aux familles et au monde qu’une belle-mère, ce n’est pas une maman bis, c’est juste un parent bonus !”
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