Famille recomposée : quand l’autre ne veut plus d’enfant
S’il est rare qu’un couple soit parfaitement synchro sur son désir d’enfant, la question de ce décalage se pose de manière particulièrement douloureuse dans les familles recomposées. Car il y a plus souvent une différence d’âge, parce que souvent, aussi, l’un a déjà des enfants et l’autre pas. Comment accepter que son partenaire, déjà papa, ne veuille plus d’enfant ? Faut-il renoncer, se résigner, refaire sa vie avec quelqu’un d’autre ? La psychologue Emmanuelle Drouet décrypte ce casse-tête difficile.
Etre une belle-mère sans enfant est déjà difficile. Etre belle-mère et se voir refuser un enfant à soi l’est encore plus. Et pourtant, à en croire les témoignages que l’on retrouve sur Internet et les réseaux sociaux, nombreuses sont celles qui ont des amoureux qui ne veulent plus être père à nouveau.
Accepter que l’autre nous prive d’un enfant dont on rêve ou imposer à l’autre de ne pas avoir l’enfant dont il ou elle rêve… Dans tous les cas, le sacrifice est énorme. Même si l’on s’aime beaucoup, le fait que l’un des deux ne veuille pas d’enfant va bien souvent faire exploser le couple. Quelles sont les options et leurs implications ? Le point selon votre situation…
Du côté des belles-mères sans enfant
Espérer que l’autre change d’avis ?
Il est rare que les couples soient tout de suite à l’unisson sur leur désir d’enfant. Et en général, ce n’est pas grave : si l’autre n’en veut pas aujourd’hui, cela ne veut pas dire qu’il n’en voudra jamais plus. Avec un peu de patience et pas mal de discussions, les couples finissent par se mettre d’accord pour un bébé.
“Mon premier conseil est donc de ne pas se formaliser tant que ça si, quand on lance le sujet, on se rend compte que l’on n’est pas d’accord, que l’on n’a pas la même envie”, tempère la psychologue Emmanuelle Drouet. “C’est parfois difficile quand l’horloge biologique tourne, mais dans un premier temps, cela ne vaut pas la peine de dramatiser !”
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Emmanuelle DROUET (@peripepsy sur instagram) est psychologue clinicienne depuis 20 ans. Maman et belle-mère, elle vit à Vincennes en famille recomposée.
En parallèle, elle écrit des romans dont le dernier, L’écho des souffrances silencieuses vient de paraître aux éditions Jouvence.
Accepter que son conjoint ne veuille plus de nouvel enfant ?
Passé les discussions, un temps de réflexion et quelques mois pour s’habituer à l’idée, certaines femmes finissent par accepter ce refus de bébé. Se ranger à la décision de leur partenaire, en reconnaissant la joie que leur procure leur couple ou leur famille recomposée telle quelle, aujourd’hui. Certaines vont même jusqu’à s’investir plus fortement auprès des enfants de leur amoureux. “Mais le problème, bien souvent, c’est qu’elles risquent de ne pas parvenir à “digérer” ce refus”, prévient Emmanuelle Drouet. “Et qu’elles en viennent tôt ou tard à nourrir de la rancœur vis-à-vis de leur conjoint. Parfois de manière inconsciente, sans se l’avouer vraiment ni comprendre exactement d’où vient leur agacement ou leur aigreur. Et parfois de manière un peu injuste, aussi, car c’est elles qui ont décidé de rester, alors que leur homme leur avait exposé clairement la situation.”
Pousser l’autre à changer d’avis ?
Des visites aux couples nouvellement parents, des photos de bébé à droite et à gauche, le sujet qui revient inlassablement sur le tapis… Il peut être tentant de vouloir convaincre l’autre de manière très… volontariste. Mais fatigante pour celui qui subit les assauts répétés et la culpabilité de ne pas vouloir d’enfant malgré tout. Et pour le couple, surtout, c’est contre-productif et même dangereux, met en garde Emmanuelle Drouet. “En psychologie, on parle du phénomène de réactance. Si on est une jeune femme, plus on a absolument envie d’un enfant, plus on va insister, plus on va répéter que c’est le bon moment d’avoir un enfant, que plus tard ce sera trop tard, etc.. Mais plus on va essayer de convaincre l’autre, plus cela va entraîner ce phénomène de réactance. On a déjà tous pu le ressentir ; face à une situation donnée, si on se sent obligé de faire quelque chose parce que l’autre nous le demande (“demain, tu arrêtes de fumer”, “demain, tu fais les travaux dans le garage, ça fait 3 mois que tu dis que tu veux le faire…”) moins on va le faire ! La raison ? On veut avoir la sensation de préserver notre liberté !”
Pour résumer, nos efforts risquent bien de créer chez l’autre une réaction de rejet. “Mon conseil est donc d’éviter de chercher à tout prix à convaincre l’autre, parce qu’en réalité, cela va surtout l’en dissuader”, prévient la psychologue. “Il risque de se renfermer, de camper sur ses positions sans plus vouloir en discuter… tout l’inverse de l’effet escompté ! Il vaut mieux en parler de temps à autre, amener le sujet en douceur, sans insister. Bien sûr, c’est difficile quand on a très envie de quelque chose. Mais garder en tête ce principe de réactance permet d’être prudent.”
Zoom sur… Le phénomène de réactance : Souvent confondu avec de l’esprit de contradiction, ce phénomène est une réaction qui vise à préserver nos libertés, nos capacités à agir et à décider par nous-même. Elle explique que sous la contrainte, on va faire l’opposé de ce que nous demande l’autre. Non pas pour l’embêter, mais pour préserver nos marges de manœuvre… notre liberté, en somme.
Arrêter la relation pour espérer être mère un jour ?
Pour Emmanuelle Drouet, il faut parfois avoir le courage de regarder son désir d’enfant et la situation en face. “En temps que femme, si on a vraiment envie d’un enfant, et même si l’amour est bien présent dans votre couple, il faut vraiment réfléchir à l’éventualité d’arrêter la relation. Cette décision difficile préservera au final ce compagnon que nous aimons aujourd’hui, en évitant de lui faire porter la responsabilité de nous avoir privé de cet enfant. Parce qu’en restant, on fait un choix et on devient responsable de ce choix. Si l’autre a été clair depuis le départ et si l’on reste, il faudrait pouvoir ne plus jamais reprocher à l’autre d’avoir refusé cet enfant. La balle est dans notre camp. Mais les années passant, le sacrifice apparaît dans toute son ampleur et cela devient alors une vraie menace sur le couple.”
S’extraire de la relation est une décision extrêmement difficile quand on est amoureuse. Mais malheureusement, l’amour ne suffit pas toujours et mieux vaut expliquer : “je pars parce que même si aujourd’hui je t’aime et que ça ne me dérange pas qu’on n’ait pas d’enfant, je sais que je te le reprocherai tôt ou tard et que plus tard, ce sera peut-être trop tard pour que j’en ai alors.“
Du côté des pères…
Faire un enfant malgré tout ?
Il peut être tentant de se dire, surtout face à une partenaire insistante, “je ne veux pas d’enfant mais je vais accepter de lui en faire un pour lui faire plaisir”. “Mais c’est loin d’être une bonne idée”, prévient la psychologue. “Surtout que derrière cette résignation, peut se cacher plus ou moins inconsciemment la peur que l’autre nous quitte… Ce qui est une très mauvaise raison de devenir parent d’un nouvel enfant.”
En effet, faire un enfant à tout prix pour éviter que l’autre nous quitte n’est pas forcément une bonne stratégie : “quand l’enfant grandit, le parent qui n’était pas forcément désirant, va parfois s’occuper différemment – ou juste moins – de cet enfant non désiré. Ce qui peut être très difficile à vivre pour tout le monde, mais surtout avec des répercussions douloureuses sur l’enfant.”
Hésiter et laisser planer le doute ?
Si l’on ne peut reprocher à qui que ce soit de ne pas vouloir d’enfant, on peut reprocher à celui qui sait ne plus jamais vouloir être père de ne pas être suffisamment franc sur le sujet.
“Beaucoup de femmes restent en couple avec des conjoints qui laissent planer le doute “oui, peut-être,sans doute plus tard j’aurais envie””, regrette Emmanuelle Drouet. “Elles vont rester avec l’espoir que l’autre change d’avis. Mais que se passe-t-il s’il ne le fait pas ? Quand on arrive à l’âge où l’on ne peut plus avoir d’enfant et que l’on se retourne sur cette vie à attendre, en vain ?”
Même si c’est très dur sur le moment, il faut donc être clair dans sa position : affirmer voire répéter “je ne veux pas/plus d’enfant et ça ne changera pas”. Car cela va permettre à votre partenaire de prendre sa décision en connaissance de cause, plutôt que la laisser espérer en vain, sur des sables mouvants. “Pour adoucir la dureté de votre position, n’hésitez pas à lui rappeler que cela n’a rien à voir avec l’amour que vous lui portez, conseille la psy. “Et rappelez-vous : celui qui ne veut pas d’enfant et qui en prive son ou sa conjointe n’aura jamais le beau rôle. Cela lui sera reproché tôt ou tard car c’est une énorme responsabilité !”
Partir pour ne pas empêcher sa partenaire de devenir mère ?
“Je connais des pères, dont je salue le courage, qui ont préféré arrêter leur histoire en expliquant “je ne veux pas être celui ou celle qui te prive de devenir mère ou père””, se souvient Emmanuelle Drouet. “Cela témoigne du respect et de l’amour que ces personnes portent à celui ou celle qu’ils préfèrent libérer plutôt que rendre malheureux. C’est une décision extrêmement courageuse.”