Famille recomposée : peut-on éviter la jalousie ?
La recomposition vient bousculer les repères familiaux et la vie de chacun de ses membres, et des tensions apparaissent souvent entre les enfants de la nouvelle fratrie recomposée. En tant que parent, vous souhaitez que tout le monde s’entende, bien sûr ! Pourtant, il faudrait pouvoir accepter que la jalousie est normale… et même bénéfique parfois, comme l’explique la coach parentale Elena Goutard qui nous donne aussi ses conseils pour préserver le bien-etre des enfants dans la famille recomposée.
Les Nichées : Qu’est-ce que la jalousie au juste ?
Elena Goutard : La jalousie dans une fratrie est une émotion qui provient d’un sentiment de peur ou d’insécurité généré par la présence d’un autre enfant. L’enfant peut avoir peur de perdre sa place dans la famille, l’amour et l’attention de ses parents, etc.
Mais toute rivalité entre les enfants n’est pas forcément due à de la jalousie : elle peut être la conséquence d’un sentiment de frustration, inévitable quand on partage sa vie avec un frère ou une sœur. Devoir céder son tour, partager sa chambre ou ses jouets, être dérangé dans ses jeux ou ses moments calmes… toutes ces situations vont faire naître chez les enfants de la frustration, de l’agacement ou de la colère. Des tensions apparaissent et les disputes se multiplient.
Bien que désagréables, ces émotions sont utiles et naturelles car elles aident les enfants à défendre leurs droits et à exprimer leurs besoins respectifs. Un conflit permet de s’exprimer, de s’affirmer, d’apprendre à mieux se comprendre pour, au final, s’adapter les aux autres et mieux s’entendre.
Coach parental et familial, Elena Goutard est également maman de 4 garçons âgés de 6 à 15 ans. Elle est aussi l’autrice de guides aux éditions Solar, dont « Mon P’tit cahier Nouvelle tribu » et « Mon P’tit Cahier Frères et soeurs« , avec la collaboration d’Elodie Gossuin.
Son site : https://www.elena-goutard.com/
Quelles en sont les principales manifestations ?
Elena Goutard : Chaque enfant vit et exprime la jalousie différemment. Un enfant qui ressent un manque d’attention pourra solliciter beaucoup son parent, réclamer ses bras, monopoliser le temps de parole ou demander souvent de jouer avec lui. Il pourra aussi exprimer sa jalousie au travers de plaintes et de reproches comme « C’est tout pour lui/elle », « Vous l’aimez plus que moi », etc.
Des régressions dans l’autonomie sont également fréquentes : l’enfant ne veut plus s’habiller, manger ou s’endormir seul, comme pour attirer davantage d’attention et de présence. On observe par ailleurs une augmentation du nombre de crises émotionnelles : l’enfant peut paraître exigeant, irritable, chercher à imposer ses règles et tenter de dominer ses frères et sœurs mais aussi parfois les parents. Les enfants jaloux peuvent aussi s’en prendre les uns aux autres : se disputer, avoir du mal à départager les jouets, rapporter les bêtises de l’autre…
Est-ce un phénomène normal ?
Elena Goutard : La jalousie existe dans toutes les fratries, mais à des proportions différentes : elle peut être légère, occasionnelle ou permanente, voire maladive. Elle peut se manifester rapidement, dès la naissance d’un autre enfant ou la toute première rencontre avec les enfants de l’autre lorsqu’il s’agit d’une famille recomposée.
Il arrive aussi que les premiers signes de la jalousie n’apparaissent que plus tard, quand l’enfant réalise pleinement les changements et les inconvénients induits par l’arrivée d’un frère ou d’une sœur. L’enfant pourra alors demander de renvoyer le bébé au magasin, refuser de vivre sous le même toit avec d’autres enfants ou reprocher à son parent de ne pas l’aimer suffisamment.
Ces réactions sont normales et même bénéfiques. Elles aident en effet l’enfant à exprimer ses ressentis et à adopter des comportements nécessaires pour combler les manques. Une régression dans l’autonomie lui permettra par exemple d’avoir plus d’attention et de contact avec son parent, et petit à petit, sa jalousie s’estompera.
Prend-elle une forme ou une ampleur particulière en famille recomposée ? A quoi est-ce dû ?
Elena Goutard : Une fratrie recomposée n’est pas épargnée par les jalousies. Le changement de la configuration familiale peut être violent pour un enfant, même si on a pris le temps de l’y préparer. La recomposition va bousculer les repères familiaux à tous les niveaux : du changement de la maison jusqu’à la composition des menus à table. Et forcément, l’enfant va tenir pour responsables son parent, son beau-parent mais aussi les enfants de ce dernier. Cette animosité est tout à fait naturelle et s’atténue généralement à mesure que chacun s’adapte et s’approprie cette nouvelle vie.
La recomposition familiale va chambouler aussi la structure familiale (nombre d’enfants, rangs de naissance). Si par exemple, l’enfant était enfant unique, le fait de se retrouver avec d’autres enfants sous le même toit va générer de la frustration et apporter son lot de difficultés, autant pour l’enfant que pour les parents. Un enfant peut aussi mal supporter la perte du statut d’aîné suite à l’arrivée d’enfants plus âgés ou encore de sa place de petit dernier s’il y a des enfants plus jeunes ou que la famille décide d’accueillir un nouveau bébé.
Que peut-on faire pour l’apaiser ?
Elena Goutard : Vivre sous le même toit ne doit pas signifier tout faire ensemble. C’est d’autant plus important dans une famille recomposée où tout le monde, les petits comme les grands, peuvent avoir besoin de souffler de temps en temps pour mieux profiter de cette vie tous ensemble. Des moments exclusifs en tête à tête avec son parent vont aussi servir d’exutoire et amener une distance nécessaire pour apaiser les rivalités. Il ne faut donc pas hésiter à prendre du temps en tête à tête avec ses enfants en laissant son conjoint s’occuper des siens le temps d’une soirée ou d’un week-end par exemple.
Il est également important de ne pas précipiter les choses et de laisser aux enfants le temps nécessaire pour construire la relation à leur propre rythme. Donc on ne les force pas à jouer ensemble ou à se faire des câlins, on s’arme de patience et on respecte le rythme de chacun. Même si cela prend plus de temps que l’on ne souhaite, il est important que chacun y aille à sa vitesse.
Si on sent que le sentiment de jalousie impacte le bien-être de l’enfant et l’entente dans la fratrie, il est indispensable d’en discuter avec lui en privé pour tenter de comprendre les causes de son mal-être et de son comportement. Lors d’un moment de complicité, le parent pourra questionner l’enfant sur la façon dont il vit sa relation avec ses nouveaux frères et sœurs, lui demander ce qui lui manque, ce qui le dérange et ce qui pourrait l’aider à aller mieux. Rien de tel pour aller au cœur du problème et apporter à l’enfant des solutions adaptées.